John FANTE – Arturo BANDINI

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John FANTE – Arturo BANDINI

John Fante

Arturo BANDINI

Arturo Bandini c’est l’alter-égo fantasmé, l’avatar de John Fante, écrivain plébiscité par le rabelaisien Charles Bukowski.

D’une petite ville du Colorado à Los Angeles, plonger dans les quatre romans choisis – des tranches de vie ? – revient à cheminer en compagnie d’Arturo Bandini et sa famille, de l’enfance Bandini à l’âge adulte Mon chien stupide. Suivre le fil conducteur qui relie l’ensemble de ce quatuor, Demande à la poussière et La route de Los Angeles représentant les deux autres volumes sous notre plume, conduit à explorer la volonté du « héros » : devenir écrivain. Arturo Bandini parle, respire et pense littérature, jour et nuit. Attention, il ne s’agit pas pour lui d’écrire des romans de gare, non ! Il ne vise rien moins que le Prix Nobel, ou comment tordre son destin avec pour unique obsession de parvenir à ses fins.

Dans Demande à la poussière (écrit en 1939) le personnage central (Arturo Bandini lui-même) est parvenu à publier une nouvelle dans un magazine. S’il s’agit de son unique fait d’écriture, il en parle pourtant ainsi :

« J’étale le magazine sur le comptoir et je biffe la dédicace à la princesse Maya. A la place j’écris : Chère va-nu-pieds, vous l’ignorez sans doute mais, hier soir, c’est l’auteur de cette nouvelle que vous avez insulté. Mais savez-vous seulement lire ? Dans l’affirmative, investissez quinze minutes de votre temps et délectez-vous de ce chef-d’œuvre. »

Pour Arturo, les auteurs qui comptent sont Henry James, Melville, Conrad, Dostoïevski et, surtout, Nietzsche. À partir de ses lectures, il se construit un parler élaboré, riche de vocabulaire savant, parfois philosophique. Dans La route de Los Angeles (son premier roman, refusé par les éditeurs en 1936, trop scabreux, et édité à titre posthume en 1985, par Joyce Fante), post adolescent, il apostrophe sa mère et sa sœur par le biais d’un verbiage sentencieux destiné à leur exposer son érudition.

À la conserverie de poisson où il travaille, idem. Il lâche des axiomes insultants à tout va, traite les ouvriers de laborieux, d’esclaves. Il clame que sa présence en ce lieu sordide ne poursuit qu’un but, glaner matière à écrire, à relater dans une œuvre à venir leur condition d’exploités démunis. En cela, il s’affirme communiste, défenseur du peuple opprimé, ennemi de la caste gouvernante. De concert, il renie Dieu, la religion, et tout ce qui s’y rapporte.

« Le ciel n’existe pas. L’hypothèse du paradis est un pur instrument de propagande forgé par les nantis pour duper les pauvres. Je nie l’immortalité de l’âme. C’est la constante délusion d’une humanité aveugle. Je rejette catégoriquement l’hypothèse de Dieu. La religion est l’opium du peuple. Les églises devraient être transformées en hôpitaux ou en bâtiments d’utilité publique. »

Autre caractéristique récurrente chez Arturo Bandini, il déifie les femmes tout autant qu’il les hait. Il peut leur assurer son inconditionnel amour puis les rabaisser, les vilipender, désirer irrépressiblement les assassiner. Dans sa quête de reconnaissance, il s’imagine dictateur. Puis, tel un monarque totalitaire et effrayant, il passe à l’action en s’octroyant un pouvoir de vie et de mort sur les animaux… en les tuant. Ce côté obscur du personnage n’a de cesse de questionner le lecteur sur la frontière qui borne les livres de Fante, entre autobiographie et fiction.

John Fante

John FANTE

John Fante (1909/1983), comme son héros issu de l’immigration, présente des racines italiennes. Si, dans ses œuvres, son alter-égo rabâche qu’il est américain, il est fort probable qu’il ait lui-même ressenti le besoin de l’affirmer, d’ancrer fermement sa vie dans le pays qui l’a vu naître au contraire de ses parents reprenant des attitudes et coutumes transalpines.

À un moment de sa vie, en parallèle à l’écriture de livres, John Fante travaille comme scénariste pour Hollywood. Il n’a pas une grande estime pour ce boulot mais il lui permet de payer les traites et d’élever sa famille ; de manger. Il relate le contexte dans lequel il exerce ce job au sein de Mon chien Stupide (édité à titre posthume en 1985 par Joyce Fante). Stupide, c’est le nom dont il affuble un gros chien noir « homosexuel » qu’il retrouve un jour sur la pelouse de sa maison et qu’il adopte pour des raisons qui lui sont très personnelles.

« Je savais pourquoi je voulais ce chien. C’était clair comme de l’eau de roche, mais je ne pouvais le dire à Jamie. Ça m’aurait gêné. En revanche, je pouvais me l’avouer franchement. J’étais las de la défaite et de l’échec. Je désirais la victoire mais j’avais cinquante-cinq ans et il n’y avait pas de victoire en vue pas même de bataille… Stupide était la victoire, les livres que ne n’avais pas écrits, les endroits que je n’avais pas vus, la Maserati que je n’avais jamais eue, les femmes qui me faisaient envie : Danielle Darrieux, Gina Lollobrigida… »

Il semble donc que John Fante ait souffert de rancœur et d’amertume au regard de la vie qu’il menait. On sait qu’il était homme à femmes. Joyce, son épouse, le seconda néanmoins sans faillir, s’occupant de lui jusqu’à sa mort, permettant la publication posthume d’ouvrages jusque-là inédits.

En tout homme, il y a une part d’ombre et de lumière. Même obscurcie, cette dernière supplanta ce qu’il y avait de Mister Hyde en lui. Peut-être, ses penchants les moins reluisants furent-ils le fruit d’une enfance particulière. Dans Bandini (écrit en 1938), il décrit l’état d’esprit d’Arturo enfant ; décrit il le sien ?

« Sa mère et son père étaient italiens, il les aurait voulus américains. Son père était poseur de briques, il l’eût préféré lanceur pour les Chicago Cubs. Ils habitaient Rocklin, Colorado, … et il voulait habiter Denver… Il fréquentait une école catholique, il aurait préféré une école publique… Enfant de chœur, il était un vrai diable et haïssait les enfants de chœur… Il redoutait d’être bon garçon car il craignait que ses amis ne le traitent de bon garçon. Il s’appelait Arturo… Il adorait son père, mais il vivait dans la hantise du jour où il serait assez costaud pour le rosser. Il prenait sa mère pour une mijaurée doublée d’une idiote. »

John Fante

John Fante en famille

On doit à Charles Bukowski le regain d’intérêt autour de l’œuvre de John Fante. Il le découvre un jour dans une bibliothèque. Dès les premières lignes, il est stupéfait. Voilà comme il relate la rencontre :

« J’ai continué de marcher autour de la grande salle, tirant les livres des étagères, lisant quelques lignes, quelques pages et les reposant. Un jour j’ai sorti un livre, je l’ai ouvert et c’était ça. Je restai planté un moment, lisant et comme un homme qui a trouvé de l’or à la décharge publique. » (À propos de Ask The Dusk)

John Fante est mort le 8 mai 1983, aveugle et cul-de-jatte suite à des complications liées au diabète dont il souffrait. Pour en arriver à cette extrémité, on peut parier qu’il ne respecta pas son régime diabétique ni les recommandations inhérentes en matière d’hygiène de vie. On ne se refait pas. S’il est des hommes qui ont la vie qu’ils méritent, il en est d’autres qui écrivent la leur.

Reste de ce grand écrivain des ouvrages parcourus de phrases évocatrices, taillées au scalpel, à l’os, sans une once de gras ou de superflu. Certaines couvrent une demi-page, d’autres n’offrent qu’un mot. Il n’est pas donné à tout le monde d’écrire comme cela. De plus laborieux s’y sont essayés sans y parvenir. Chez-lui, c’était inné. Ainsi, faisant notre bonheur, John Fante profita de la grâce littéraire qui le toucha. Pour le lire, le relire et le relire encore.

Thierry Dauge

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