Bernard GIRAUDEAU – Les Dames de Nage
Bernard Giraudeau est essentiellement connu pour son jeu d’acteur et les films dans lesquels il a brillé : Le Ruffian en compagnie de Lino Ventura (1983), Rue Barbare avec le formidable Bernard-Pierre Donnadieu (1984), Les Spécialistes, compère de Gérard Lanvin (1985), Ridicule (1996) en abbé versificateur et sournois ou Les Caprices d’un Fleuve (1996), qu’il réalise.
Outre ses rôles au théâtre, il est également l’auteur de deux romans dont Les Dames de Nage, en 2007, aux éditions Métailié.
« Tu as été cet amour qui brise avec douceur les miroirs, qui dévêt d’une caresse invisible le cœur en armure, et qui me donne cette légèreté, comme une ancre hors le fond qui se dénude d’une enveloppe de silice. Je t’ai laissée dériver mais je sais maintenant qu’il n’y a que moi pour rassembler tant d’amour »
Bernard fait preuve d’une écriture poétique de tous les instants, toutes les lignes, tous les paragraphes, tous les chapitres. Il décrit aussi bien l’Afrique Noire, le ventre du monde, le Sénégal et sa latérite, terre rouge, terre de poussière, que l’Amérique du Sud dans ce qu’elle a de plus précieux, somme de traditions et d’Amazonie. En passant, il croque un Sarajevo au cœur de la guerre de briques noircies par le souffle des bombes, les ciments criblés comme autant d’écrans blancs parcourus d’ailes de papillons rouges sang.
Partout, le personnage principal, un Rochelais, un conteur, comme lui, filme les scènes de la vie, hors poses, au quotidien. Via l’œil de la caméra, il construit sa vie, son histoire, tout autant qu’il reconstitue l’empreinte de Michel, son ami disparu.
« Il (Michel) voulait écrire un livre sur les ‘peuples peints’ ou ‘l’art éphémère’. Il lui fallait un prétexte pour partir et il est parti un jour en me laissant quelques textes sous le titre ‘Le Vent Prend Naissance à Matam’. Ce cadeau ne présageait rien de vraiment joyeux, mais je n’ai posé aucune question. Michel s’en allait »
Qu’est-ce qui, dans ce récit, relève de l’autobiographie, du journal ou du roman ? Bernard Giraudeau a parcouru la transamazonienne, cette route qui traverse la forêt primaire. Il y relate une expérience chamanique, l’ingestion de racines sacrées puis la transe hypnotique et lysergique qui s’en suivie, guidé dans les prismes synaptiques par un savant sorcier.
Il raconte son ami Diégo, poète, chanteur, homme des hauts plateaux andins, du Chili. L’exilé parisien revenu sur les terres ancestrales ne sait plus s’il est l’un ou l’autre, le combattant politique ou l’indien troubadour.
« Son écriture est témoin, issue des fissures volcaniques et du poudroiement des neiges. Elle est prière. Les mots écrits doivent être dits. Chant d’amour, rivière de cristal, ils irriguent la glaise pétrifiée. Pour la vie, uniquement pour la vie. Pour ne pas oublier, ni le sang, ni la sueur, ni les rires des clowns ouvriers aux visages de salpêtre »
Au cœur et à corps du roman, Giraudeau parle des femmes, celles qui l’ont porté, celles des autres ou qui l’ont simplement croisé. Les généralités sur le Genre n’ont pas lieu d’être dans sa prose. Il évoque des muses, celles qui comptent, qui colorent l’existence, qui soutiennent et supportent l’âme du voyageur ; définition de l’homme, en vérité. Amélie, Jo, Margueritte, Ysé, Croyance et jusqu’à Marcia, ce garçon / femme qui l’a touché. Elles sont sans âge. Qu’elles présentent des formes divines ou de laids atours, elles affichent toutes une force dont seules les femmes sont capables, hors la résignation du quotidien.
« Je vais pouvoir achever l’unique vrai film de ma vie avec les images que je n’ai jamais tournées »
Parle-t-il de lui, écrit-il le livre de sa vie, narre-t-il son vécu ? Pour sûr, des travaux de plume romancent le récit. Dans Les Dames de Nage et la façon qu’a Bernard Giraudeau de l’écrire, des couleurs transpirent, des fragrances s’élèvent, le temps recule. Rêver d’ailleurs, ce qu’un lecteur attend d’un livre.
Thierry Dauge