Muddy Gurdy – Coup de Blues sur l’Auvergne
La nuit est tombée. Belle et claire. L’air est vif mais pas froid car cette journée en Auvergne ne fut pas avare de soleil. On aperçoit au loin la chaîne des volcans qui se découpe, encore plus sombre, sur l’écran noir du ciel étoilé. Et puis, au fur et à mesure qu’on se rapproche, on entend d’abord comme un son, un murmure imprécis.
Au début on a du mal à percevoir d’où cela provient. Inconsciemment on presse le pas pour savoir. Oui, cela sort bien de ce cratère. Le murmure de tout à l’heure se précise. Une musique. Une mélopée qui sourde doucement de la bouche du volcan éteint. Un rythme semblant venu du fond des âges l’accompagne. Des sonorités étranges l’habillent. C’est envoûtant. Hypnotique. Alors on s’arrête. On écoute. On n’a plus envie de bouger, capté par la magie. On se dit que c’est beau. Comme du Blues. Du Blues ? Oui mais pas que. Du Blues à la Muddy Gurdy…
Des musiciens d’horizons différents
Muddy Gurdy. Qui se cache donc derrière ce nom aux allures de mot de passe un peu espiègle ? Le mieux est de commencer par les présentations…
Tia Gouttebel (Chant, Guitare)
Passionnée de Blues du Delta, Tia Gouttebel finit par être repérée par le guitariste américain Larry Garner qui va, entre 1999 et 2001, lui donner l’opportunité de jouer avec lui et de se faire ainsi mieux connaître. Tania a beau être imprégnée de la musique d’un Fred Mc Dowell ou d’un JB Lenoir, cela ne l’empêche pas de développer un style très personnel, tant à la guitare qu’au chant. En 2002 elle se lance dans l’aventure de la vie de groupe en formant Tia and The Patient Wolves. Le combo écume les clubs un peu partout en France mais aussi en Europe et se produit même dans des festivals renommés comme le Cognac Blues Passions où elle fait la première partie de Ben Harper devant 6000 personnes bluffées par l’intensité de sa prestation.
Gilles Chabenat (Vielle électroacoustique)
Originaire du Berry, Gilles Chabenat commence la vielle à l’âge de 13 ans au sein de l’association Les Thiaulins qui promeut les arts et traditions populaires. Il se fait d’abord les dents sur le répertoire régional mais l’envie de se frotter à d’autres styles musicaux lui trotte déjà dans la tête. Il décide de collaborer avec Denis Sorat, luthier de son état. Avec lui ils mettent au point une vielle électroacoustique qui va permettre à Gilles d’explorer le vaste champ des musiques actuelles. D’expérimentations en rencontres il va, en 1992, intégrer I Muvrini qui cartonne déjà hors de sa Corse natale. S’ensuivent de nombreuses collaborations avec des musiciens d’horizons aussi divers que Sting, Stephan Eicher ou encore les jazzmen Jean-Marc Padovani et Vincent Mascart.
Marc Glomeau (Percussions, calebasse, choeurs)
Marc Glomeau a plusieurs cordes à son arc, cumulant les rôles de percussionniste, de compositeur et de producteur. Il est le fondateur de Black Chantilly, groupe de Jazz afro-cubain qu’il va emmener un peu partout durant une décennie. Mais comme cela ne suffit pas à notre boulimique, les collaborations s’enchaînent, avec notamment Arthur H, Mère Grand and The Sound Avengers, projet de reprises de génériques célèbres de séries des seventies, ou bien Afroko System, travail de mix entre Jazz et rythmes africains. Il fait également profiter de ses talents de pédagogue en animant des stages de percussions dans les écoles nationales de musique et les conservatoires.
Muddy Gurdy – See My Jumper
Crossroad
Avec des parcours aussi variés la rencontre des ces trois là était loin d’être une évidence. Mais finalement le hasard, qui a l’heureuse habitude de bien faire les choses, a une fois de plus assis sa réputation. Car ils ont bel et bien fini par se croiser ! Belle histoire de carrefour, de crossroad, comme dans les étranges légendes du Blues.
Car, oui, le Blues, il s’agit bien de lui. Tia, Gilles et Marc se découvrent une passion commune pour cette musique envoûtante venue de bien loin, dans l’espace et dans le temps. Alors pourquoi ne pas en jouer, de ce fameux Blues, tout en l’enrichissant de leurs propres influences ? 2012 voit la naissance de Hypnotic Wheels où le trio va cuisiner avec bonheur les ingrédients de la musique traditionnelle auvergnate, des percussions latinos et des chants du Mississippi.
Le Mississippi.
Ahhhh… Le Mississippi….
Muddy Gurdy – Homecoming
Go America
Et là naît l’idée un peu folle. Pourquoi ne pas tenter la grande aventure et partir enregistrer sur les terres mêmes qui virent éclore les talents de leurs héros ? Tia, Marc et Gilles sautent le pas et, au printemps 2017, s’envolent vers le nord du Mississippi pour un véritable voyage initiatique. C’est aussi un baptême car le trio se décide pour un nouveau nom : Muddy Gurdy, détournement bluesy de « hurdy gurdy », nom anglais de la vielle à roue.
Les sessions se font dans les conditions du live avec un studio mobile, sur le terrain, moyen pratique pour aller à la rencontre de musiciens locaux qui partagent ainsi de riches moments d’échange. Parmi eux, Pat Thomas ou Cédric Burnside, petit-fils de l’immense RL Burnside, qui sera vivement impressionné par les sonorités électriques de la vielle qui lui rappelle le Blues hypnotique de Junior Kimbrough. Une fois rentrés au bercail, les enregistrements aboutissent à un album en 2018, « Mississippi Sessions ».
C’est un vrai succès, tant critique que commercial, qui va propulser le groupe sur de nombreuses scènes, et cela jusqu’aux États-Unis où ils retournent en février 2020 pour se produire au festival Folk Alliance de la Nouvelle-Orléans. Un de leurs morceaux sera même sélectionné pour intégrer les archives de la Bibliothèque du Congrès, référence mondiale en matière de collectage des musiques traditionnelles américaines.
Auvergne connection
Bien qu’encore tout étourdi par leur fabuleuse virée, les Muddy Gurdy pensent déjà à la suite.
Après avoir exploré les racines américaines de leur passion musicale commune, le trio projette de renouveler l’expérience en se plongeant dans leur creuset auvergnat. Ce sera là aussi l’occasion de rencontres et d’échanges. En août 2020 des musiciens du cru sont donc conviés à ce nouveau projet : Louis Jacques, qui joue de la cornemuse électrifiée. Guillaume Vardoz, qui pratique, outre l’harmonica dans le style auvergnat, l’accordéon de poche joué à l’origine par les bergers. Ou encore Maxence Latrémolière, spécialiste du briolage, le chant de travail des laboureurs du Centre France remontant au 18ème siècle qui renvoie ici au chants de travail des esclaves noirs américains qui donnèrent naissance au Blues.
Pour retrouver les sensations du périple américain, les enregistrements se déroulent dans différents endroits, une grange près d’un lac, une chapelle du douzième siècle, une ancienne salle de bal d’un bistro de montagne ou bien encore le fond d’un cratère au beau milieu de la nuit, aventure dans l’aventure car monter le matériel dans un lieu aussi incongru ne fut sûrement pas une mince affaire…
Un nouvel album, fruit de ces collaborations, sort en 2021 sous le titre judicieux de « Homecoming » et rencontre un franc succès.
Muddy Gurdy – Help The Door
Mais on cause, on cause, et voilà que le soir tombe ; il faut rentrer. Le vent s’est levé. C’est bizarre mais dans son souffle on croirait entendre un chant, une musique qui s’envole là-bas, rejoindre l’âme des bluesmen au dessus du grand fleuve boueux. Peut-être bien Muddy Gurdy qui se prépare pour un nouveau voyage…