Harry Connick, Jr – Crooner jazz et funk
En France, pays qui cultive l’amour des « derniers de la classe » et de la contradiction, Harry Connick, Jr part avec un handicap. Belle gueule, belle voix, look, attitude, dégaine cool … tous les critères pour finir numéro un. De surcroît, il a longtemps été considéré comme un double de Frank Sinatra, version jeune, ceci accentuant son côté « chanteur de charme ». Musicalement, à ses débuts, on peut noter une certaine similitude entre son répertoire et celui de « The Voice ». Oui, sauf que …
Posons notre loupe sur les 90’s, au moment même où le grunge prend le pouvoir. Quels crédits peut-on accorder à des albums tels que Red Light, Blue Light (1991) ou She (1994) dans ce contexte ?
Red Light, Blue Light nous renvoie aux années 50, royaume musical du Rat Pack, quintette dont les leaders étaient Frank Sinatra, Dean Martin et Sammy Davis, Jr. She, quant à lui, convie le jazz et le funk à la même table, leur associant un soupçon de « gumbo » New Orleans pour lier la sauce. Cobain et ses troupes ont beau faire, des irréductibles persistent !
Harry CONNICK, Jr – A Blessing And A Curse
Red Light, Blue Light présente tous les ingrédients d’un jazz « smarth & swing » éclatant. Harry « croone » à la perfection, en-chanteur soutenu « à la culotte » par un Big Band étoilé. Les cuivres rutilent, une basse vrombissante virevolte, la batterie swingue, l’ensemble sonne au sommet des étalons du genre. On passe d’un morceau de jazz langoureux, bande son hollywoodienne d’un film à « l’eau de rose », à la jouissance de la rue, Bourbon Street, quartier « français » de la Nouvelle Orléans. Si l’on rajoute qu’Harry Connick a tout écrit et composé, épaulé ponctuellement par Ramsay McLean, musicien Louisianais, comme lui, on se demande d’où sort ce « petit Mozart » U.S. ?!
With Imagination (I’ll Get There)
Amoureux du jazz par naissance, kids de la Nouvelle Orléans, il commence le piano à trois ans (!). Parents aisés, père District Atorney et mère juge fédéral, il grandit dans un magasin de disques qui leur appartient. Mais naître avec une cuillère dorée dans la bouche n’est pas une fin en soi. Il étudie la musique à l’université où il rencontre un directeur de Label qui le signe sur le champ, à dix-sept ans.
En 1989, il participe activement à la BO d’un « petit » film de Rob Reiner (deux millions d’entrée en France), Quand Harry Rencontre Sally. Riche de ce succès, il va ensuite enchaîner ses propres productions jusqu’à comptabiliser vingt-huit albums originaux entre 1987 et 2021 ! Evidemment, Harry est un artiste « public » qui ne conçoit pas son métier sans rencontrer le sien. Il effectue donc plusieurs tournées à chaque sortie de ses enregistrements. Rien d’autre ?
Harry CONNICK, Jr – Just Kiss Me
Sur la même période, « touche à tout » comme chaque artiste américain qui se respecte, il fait l’acteur dans dix-neuf films et tourne dans six productions TV. Quelqu’un pour se targuer d’en avoir fait davantage ?
Si Red Light, Blue Light affirme la version « Sinatra » de son répertoire, trois ans plus tard, en 1994, sort She. Evolution musicale ou cordes supplémentaire glissée dans son piano, tout en restant bardée de jazz sa musique prend un tournant funky groovy qui tape droit dans la cible. Sur cet enregistrement (sur les autres aussi) les musiciens qui l’accompagnent relèvent de ceux qui accompagnaient Miles Davis, rien de moins ! Des pointures ! Des épées ! Mais ce serait négliger les qualités de pianiste d’Harry Connick que d’en taire le talent. Il en fait profusion sans négliger pour autant celui des autres. Au final, cette tranche de vinyle noire rivalise avec les meilleures productions du moment, tous styles musicaux confondus.
She
Chanteur et musicien, Harry Connick cultive également les morceaux instrumentaux, reléguant sa voix dans ses partitions afin qu’elle s’exprime par ses doigts sur le clavier ou ceux de ses acolytes via leurs instruments respectifs. Dans ce domaine, la basse et la batterie sont gâtées sans pour autant négliger une six cordes nourrie de wah-wah. Le shuffle et le groove qui s’en extraient alimentent les verres et les jambes de celles et ceux qui dansent.
Telles les racines entrelacées des cyprès au cœur du bayou, le chanteur n’oublie pas ses origines. Il choisit d’invoquer une parade de rue au cœur de son funk, de celles qui accompagnent les cortèges mortuaires, noyant tristesse et joyeuseté autour du défunt.
Harry Connick, Jr – Here Comes The Big Parade
Pour reprendre la formule et la question précédemment posée : Harry Connick, Jr, « petit Mozart » U.S. ? Pas de symphonie, ni de concerto, encore moins de requiem dans les poches de ses fracs. Pourtant, au détour des chansons, on saisit parfois une phrase de ce qu’enfant il devait avoir à déchiffrer. Toutes personnes prenant des cours de musique passent par le solfège et les partitions « classiques » avant de pouvoir, éventuellement, s’en émanciper. Les choix se portent alors sur la pop music ou le jazz, à moins de continuer à entretenir l’héritage en devenant concertiste. Pour sa part, même s’il est culturellement imprégné par le jazz, notre ami laisse les portes ouvertes (claustrophobie ?) …
Booker
Dans tous les cas, de Red Light, Blue Light à She, cette voix à la diction particulière et au velours safrané persiste. Ne nous reste plus qu’à écouter les vingt-six autres Lps du séduisant personnage ; un musicien accompli.
Harry Connick, Jr – Come By Me
Thierry Dauge