PUNK – Sex Pistols, Clash, Damned & Co
Le punk surgit dans un contexte économique désastreux. La classe ouvrière britannique « bouffe » des cailloux au petit-déjeuner, des clous au déjeuner et, avec un peu de chance, des patates au dîner. Concomitamment, le rock s’empèse, s’alourdit de ternes enluminures aux développements interminables : des solos à n’en plus finir, des plages de sons comme d’autres de sable. En réaction, toute une frange de musiciens passent du glam rock au punk, brûlent les étendards, déchirent les partitions et adoptent l’épingle à nourrice pour rassembler les morceaux.
1977 sonne le tocsin, s’empare des crachats et légalise le « do it yourself ». Résultats ? Les presses à disques s’emballent …
The SEX PISTOLS – No Feelings
The CLASH – Career Opportunities
The DAMNED – New Rose
Les producers du « Do it yourself »
Dès 1973, la légende urbaine véhicule des New York Dolls arrivant en studio armés de guitares désaccordées. Leur producteur, Todd Rundgren, est outré. En 1979, Phil Spector kidnappe les Ramones dans son antre, flingue en pogne : « P… ! Tu vas le jouer correctement cet accord !!! », « Ce quoi ?! ». Question : Quid du rôle des producteurs dans l’épopée punk ? Arbitrairement, mettons cinq albums sous la loupe.
Une dernière chose avant de passer aux travaux pratiques. Les remarques qui suivent concernent l’écoute des œuvres au format vinyle, « première pression à chaud ». Postulat défini, que tournent les platines : lançons le pogo !
WIRE – Mannequin
The STRANGLERS – Peaches
The CLASH
Les débuts du Clash sont sonorisés par Micky Foote … Qui ? Outre Strummer & Co, Foote ne compte qu’un album de Subway Sect à son actif, plus une pige sur l’album de 101’ers en 1980. Pour prendre la mesure de son travail, l’acquisition d’un pressage anglais du premier Lp du Clash (estampillé 1977) est essentielle. En effet, les multiples rééditions ne présentent pas la même « dynamique ».
On n’imagine pas le travail d’enregistrement en studio sans collages multipistes ou overdubs. En va-t-il ainsi pour le The Clash ?
Remote Control
Dans Rude boy (1980), film sorti trois ans plus tard où le groupe est mis en scène, on voit Joe Strummer en cours d’enregistrement s’époumoner dans un micro, artères du cou gonflées à rompre. Il est donc fort probable qu’il en fut ainsi dès les débuts. De plus, l’écart de son entre The Clash et London calling (1979), plus « léché », plaide en faveur d’un Micky Foote adepte de la première prise, tous les musiciens jouant de concert. Peut-être quelques « retouches » ou collages, de ci, de là, pour gommer les escarbilles et réunir d’éventuels écarts, eurent-ils lieu mais rien de plus. De ce fait, le Clash initial, travail de « producteur » ou « d’enregistreur » ? « Mick, Paul ? Vous ouvrez le micro ? » …
The SEX PISTOLS
Le seul véritable Lp des Sex Pistols est produit par un « habitué » de Roxy Music et autres rockers maquillés : Chris Thomas. Le son qu’il créé pour Never mind the bollocks participe activement au monumental résultat, un album « incontournable ». Il circule des rumeurs sur des musiciens de studio œuvrant à l’ombre des magnétos … pfffffff ! Est-ce que ça gène quelqu’un que Jimmy Page ait joué de la guitare en sous-main pour The Who ? Dans ce cas, si Never Mind… n’est pas uniquement attribuable aux quatre pistoleros du sexe, qui cela peut-il bien déranger ?
EMI
Sorti après ceux de la concurrence, ce disque doit remettre les pendules à l’heure : Les Pistols sont bien des initiateurs ! « Après avoir vu les Sex Pistols sur scène, on a monté un groupe … ». D’où cet important travail de studio réalisé par Thomas. Le nombre de pistes de guitares empilées les unes aux autres s’apparente à un mille feuilles. S’il n’est pas la progéniture exclusive de l’homme aux manettes, on peut quand même oser que ce 33-tours relève d’une garde-robe qu’il a méticuleusement sélectionnée. Mais l’essentiel est ailleurs. Car, affirmons le, sans Johnny Rotten, statue iconique du genre, le punk anglais n’aurait pas existé … ou s’en serait trouvé modifié.
The DAMNED
Outre le premier album des Damned : Damned Damned Damned (1977), Nick Lowe, lui-même artiste pop et rock, a produit Elvis Costello, The Pretenders ou Dr Feelgood, du sérieux. Les Damned auront eu le mérite d’ouvrir de bal, sortant cette mise de départ avant tous les autres. Pour l’occasion, Lowe élabore un son de dernier de la classe, une « brutalité » plus proche de celle du Clash que des Pistols. L’écoute, hormis la voix sépulcrale de Dave Vanian assaisonnée d’écho, donne le sentiment de « très peu » entre la console d’enregistrement et les instruments. Indubitablement, sous l’aspect de joyeux drillent aux plombs partiellement fondus, ils savent y faire ces garçons.
Neat Neat Neat
Nick Lowe laisse les musiciens s’amuser sans leur imposer quoi que ce soit : « Jouez, mes mignons ! ». Pas d’effets de manches ou de poudre aux yeux, uniquement du jus de coudes et de l’électricité. Lorsqu’il œuvre pour lui-même, le producteur / Chanteur prône le bio, le naturel. Il eut été dommage qu’il n’en fasse pas de même pour The Damned. Et si ces derniers aiment se tartiner de mousse à raser (?), il les laisse cabotiner sachant qu’au final, cela sied parfaitement aux cockneys : « Only à cloud of milk with my tea … please ». Les gens bien élevé savent aussi déconner.
WIRE
En 1977, Wire, généticien du punk, fait appel à Mike Thorne pour produire les vingt-et-un titres (!!!) casés dans Pink flag. On retrouve Thorne à l’origine du LAMF des Hearbreakers, à la console du first de Téléphone ainsi que derrière le méga hit de Soft Cell : « Tainted love » : sacré tableau de chasse ! Pour Wire, il aseptise, il déterge, il poudroie un son clinique. Au sortir des enceintes, ça sent l’azote, ça sonne comme des skis sciant la neige. La cryogénisation des tympans est plus proche que leur incinération. Accordons à Thorne d’avoir modeler un son propre au « rose du drapeau ».
Pink Flag
Le producteur n’applique pas de formule pré établie, il s’adapte aux musiciens. Sur Pink flag, peut-on dire que la « patte » de Thorne est déterminante ? Optons plutôt pour une réunion de musiciens déterminés. Ces derniers affichant des CV longs comme le bras, il y a fort à parier qu’ils ne s’en soient pas laisser compter. L’avis d’une personne qualifiée extérieur au système en mouvement ne pouvant qu’amener un plus, l’association fut bénéfique. Wire sonnant davantage techniciens que mécaniciens fait que le groupe tient une place à part dans la cohorte des Crachats. Du grain à moudre pour les amateurs de punk, moment cérébral entre deux « Fuck ! ».
The STRANGLERS
L’ultime partie de notre étude porte sur The Stranglers avec Rattus Norvegicus ou IV, suivant le nom qu’on lui accorde. Certitude, nous disposons là d’un nouvel incontournable. Martin Rushent officie aux manettes pour un service cinq étoiles. Le palmarès du producteur est éloquent : T Rex, Fleetwood Mac, Buzzcocks, Generation X, 999, The Human League … Téléphone (Crache Ton Venin) ! Associé aux « vrais » musiciens des Stranglers, le résultat ne pouvait qu’être détonnant. Les chansons sont des … chansons qui, au-delà de l’étiquette punk, hasard de concomitance, évoquent le rock le plus pur. D’ailleurs, The Stranglers sont peut-être les seuls à avoir fait rentrer un clavier sous les scalps des iroquois.
Ugly
Le maquillage et la moustache en façade du disque (une « moustache » punk ?!), sont les seuls artifices accordés à l’enregistrement, le reste relève d’un titrage à haut degré dont on fait les meilleurs crus. A mon sens, des cinq vinyles abordés dans cette chronique, c’est le seul album qui unit à égalité production volontairement chromée et qualité des morceaux proposés. L’interprétation des partitions figure en première ligne, la musique des Stranglers visant tout autant sous la ceinture que dans les cœurs.
Le son Punk : musiciens ou producteurs ?
Les arguments qui précèdent tendent à démontrer que les Labels ont peu interagis auprès des uns et des autres, musiciens et producteurs, dans le but d’imposer leur mercantilisme habituel. Le « bordel » orchestré des fougueux jeunes gens l’a emporté et le public a suivi. A l’apogée du « Do it yourself », il aurait quand même été intéressant d’entendre comment ces musiciens affamés de « bruits » se seraient autoproduits. Au final, en 1977, c’était plutôt : « Come Together » en matière de réalisation. Mais ne le savions nous pas ! Avant même qu’ils ne frangent leurs cheveux, les Beatles avaient déjà inventé la règle du jeu …
Thierry Dauge