En septembre 1985, Kate Bush délivre son opus le plus célèbre, Hounds of Love. Si la musique des années 80 a parfois du mal à passer l’épreuve du temps, la sorcière du son semble faire exception…
En 1982, Kate Bush ressort très éprouvée de l’enregistrement de The Dreaming. D’autant que ce dernier album ne semble pas avoir été compris. Elle décide de s’éloigner de l’agitation régnant dans la capitale londonienne afin de renouer avec les choses simples. Nature et famille…
Malgré les balades champêtres et les flâneries sur l’étang de la demeure parentale, la compositrice s’ennuie. Le démon de la création a décidé de ne pas la laisser souffler (même s’il faudra trois ans à la sorcière pour accoucher de Hounds of Love). Disposant alors de moyens conséquents, elle décide d’investir dans un studio 48 pistes qu’elle fait bâtir au sein même de sa propriété bucolique de Sevenoaks, dans le Kent.
Dés la fin des travaux, entourée de son piano, son Fairlight CMI, et d’une boîte à rythmes, Kate investit le studio afin d’enregistrer les démos de son futur album. Soucieuse de poursuivre ses expérimentations, sans perdre pour autant l’appui du public, elle opte pour un double-album : un premier volet de cinq titres pop, intitulé Hounds of Love, et un second de sept pistes nommé The Ninth Wave. Ce dernier est un album conceptuel dans lequel les paysages musicales se succèdent.
Hounds of Love
Le premier single extrait de l’album : « Running up that Hill (A Deal With God) », paraît le 5 août 1985. Dans une de ses rares sorties, Kate Bush en livrera une autre version en 1987 lors du Secret Policeman’s Third Ball, aux côtés de David Gilmour. Ce tube planétaire a souffert d’une certaine controverse. Au départ, Kate souhaitait l’intituler « A Deal With God ». Sur l’insistance de sa maison de disques (EMI Records), elle consent à reléguer ce titre dans une parenthèse…
« J’essayais de dire qu’un homme et une femme ne peuvent se comprendre entre eux. Si nous pouvions changer de place un moment, nous aurions sûrement de sacrées surprises (rires). Et je pense que cela aboutirait a une meilleure compréhension. La seule solution que j’envisageais était un contrat avec le Diable. Et je me suis dit : ‘Non, tiens, pourquoi pas avec Dieu !’ Voyez, pour moi, le titre est toujours ‘Deal with God’. Mais on nous a dit qu’en gardant ce titre-là, il ne serait pas joué dans les pays religieux, qu’il serait blacklisté juste parce que Dieu était dans le titre. »
Je n’aurais pas l’audace de vous faire découvrir ce titre ouvrant le bal de Hounds of Love. Pourtant, je ne peux résister à l’envie de vous faire écouter cette version remasterisée en 2018, par la Sorcière elle-même…
Kate Bush – Running up That Hill
L’histoire de « Cloudbusting » prend sa source dans un fait divers ayant défrayé la chronique britannique, trente ans plus tôt. En 1956, le psychanalyste et inventeur Wilhelm Reich est arrêté sous les yeux de son fils pour détention illégal d’un accumulateur d’orgone. Le scientifique s’en servait pour soulager des patients atteints de cancer. Il est également l’inventeur du Cloudbuster, un appareil censé déclencher la pluie…
Comme on peut le voir dans le célèbre clip, « Cloudbusting » est le récit de ces événements narré par le jeune garçon. Kate Bush s’est inspirée de sa biographie publiée en 1973 sous le titre Un livre des rêves. Les cheveux courts, elle joue le rôle de l’enfant tandis que l’acteur canadien, Donald Sutherland, enfile le costume de l’inventeur. La réalisation est co-signée par Terry Gilliam… et Kate Bush !
Et même si le but n’est pas d’aborder ce qui est connu dans son œuvre, là encore, difficile de résister à ce standard des 80’s dont la mélodie et les arrangements saisissent à chaque écoute. Ayant gardé tout le charme de la New-Wave, « Cloudbusting » reste l’un des plus beaux reflets d’une époque trop souvent décriée pour son mauvais goût.
Kate Bush – Cloudbusting
Sur chaque opus de la sorcière figure un hommage assumé. Ayant retrouvé le soutien maternelle en regagnant la demeure familiale, Kate écrit cette balade aux accents robotiques sur l’amour inconditionnel d’une mère. Comme le reste de l’album (qui lui ouvrira les portes de l’Amérique), l’instrumental de ce titre aura une influence considérable sur les B.O de longs métrages et séries à venir…
Kate Bush – Mothers Stands for Comfort
Mais c’est dans le deuxième volet que le génie de la Sorcière prend son envol. Cet album concept est nommé The Ninth Wave, en référence à un poème d’Alfred Tennyson.
The Ninth Wave
S’écartant du schéma linéaire de la pop traditionnelle, Kate Bush y déploie des trésors d’ingéniosité afin de créer une musique totalement visuelle. Les rouages disparaissent ainsi derrière le décor. Sa musique devient alors picturale, aérienne, comme libérée de toute entrave technique…
Under Ice
Elle récidive dans ce titre envoûtant, tournoyant, et renouant avec les origines irlandaises de sa mère. Une farandole de sons enregistrés dans un studio de Dublin, en compagnie de son frère (Paddy Bush) ainsi que quelques pointures du violoncelle et du bouzouki irlandais…
Jig of life
Après deux ans de travail, l’album voit le jour le 16 septembre 1985. Moins sombre que le précédent, et bénéficiant d’une première partie plus pop et accrocheuse, il devient le plus grand succès critique et commercial de la sorcière. Même sur le nouveau continent, où elle restait ignorée, le sortilège opère enfin. Il faut dire que pour les besoins de la promotion de certains titres, comme « Cloudbusting » ou « Running up that hill », elle n’a pas hésité à s’investir dans des clips-vidéos très élaborés. Ceci venant renforcer l’aspect déjà très visuel de son œuvre.
Serge Debono