Warren Haynes : une certaine classe disparue
Warren Haynes semble porteur d’une certaine classe disparue. Qu’il ait régénéré le Allman Brothers Band ne lui suffisait pas, il fallait qu’il trace sa voie en solo. Hittin’ the Note, Shades of Two Worlds, et Live at the Beacon Theater doivent beaucoup au touché langoureux de celui qui fut le seul capable de reprendre le flambeau de Duane Allman.
L’arrière garde s’empressa de lui tresser des lauriers, criant à la résurrection du blues comme d’autres croient être proche de la résurrection de Jésus. Le blues dont cette arrière garde parlait, n’a existé qu’entre les mains des pionniers, et ressuscite parfois le temps de reprises plus ou moins réussies.
Warren Haynes : Ashes and Dust
Les premiers disques de Warren Haynes n’ont jamais creusé le sillon de la nostalgie, et c’est justement cette fraîcheur qui sauva sa carrière. Tonitruant pavé dans la marre, les deux premiers albums de Gov’t Mule furent son cri libérateur. Écoutez Mulennium et Live with a little help from our friends, et vous comprendrez qu’à travers ses décibels, le guitariste se libérait du statut de gardien du temple qu’on lui avait collé.
Haynes ne copie pas, il réinvente, labourant les sentiers trop visités du classique rock, pour lui redonner une certaine fraîcheur. Voilà pourquoi je ne ferai pas de séparation entre Gov’t Mule et sa carrière solo. Ce ne sont que les deux actes d’un processus libérateur. La mort du bassiste Allen Woody n’a d’ailleurs fait que souligner ce constat. Gov’t Mule est le fabuleux jouet de son imposant guitariste. Jazz, reggae, soul, et bien sûr blues, Warren Haynes a exploré toutes ses passions.
La réussite n’était pas toujours au rendez-vous, Shout est un peu mou, The Tell Star Session manque de verve, mais tous ses disques montrent une certaine classe, qui les place systématiquement au-dessus de la mêlée.
Un charisme un peu rustique
Voilà pourquoi Ashes and Dust représente le chœur de son charisme un peu rustique, mais toujours inventif. Notre homme était fait pour le bluesgrass, cette musique popularisée par The Band, et donnant une certaine synthèse de la musique américaine.
«Nous nous rebellions contre la rébellion.» Voilà comment Chris Robertson résumait cette musique, qui rendit au jeune peuple une tradition musicale détruite par le progressisme hippie. The Band fut toujours à côté de la plaque, et c’est bien ça qui rendait ses premiers disques mythiques.
La liberté est dans l’underground
Aujourd’hui, les musiciens reconnus sont plus libres que jamais, les modes musicales ayant disparu en même temps que l’amour que les jeunes leur portaient. Le Bluegrass serait donc, d’une certaine façon, dans le coup.
C’est la musique d’un homme qui sait qu’il n’atteindra jamais la même popularité que ses modèles. Un homme qui a renoncé à courir après le succès afin de construire son œuvre. La pochette résume d’ailleurs tout. Haynes paraissant exposé sur le mur un peu austère de la grande tradition musicale américaine. Austère, le Bluegrass ne l’est que pour les non-initiés.
Il est à l’image de l’homme sur cette pochette. Sa grâce est juste assez éclairée pour attirer l’œil avide de ceux qui comprennent encore que la beauté est aussi dans la modestie. Les rythmes campagnards de Haynes prennent le temps de laisser les mélodies s’épanouir. L’exubérance électrique de Gov’t Mule fait place à une sobriété d’artisan appliqué.
Un messager au service de la mélodie
Is It Me or You ouvre le bal sur un violon qui semble sorti d’une grange texane, doté d’une douceur terreuse et nostalgique, blues de paysans chassés de leurs terres. Devant une telle solennité, la guitare s’incline. Elle se contente de souligner le décor imposé par l’instrumentation acoustique.
Warren Haynes est un des derniers hommes à considérer le guitariste comme un messager au service de la mélodie, vision assassinée par les solos bavards des enfants d’Hendrix.
C’est ainsi que Coal Tatoo sonne comme John Mellencamp période Sad clown and hillbillies, ce sont les œuvres de brillants artisans du son. Ce genre de disque n’a pas d’âge. Il s’impose au-dessus des vaines préoccupations des temps modernes. C’est une fresque intemporelle. Sa grâce ne fait que monter au fil des titres, ses notes tricotant un tableau glorieux.
Warren Haynes – Coal Tattoo
S’il est dur d’extraire un titre de ce monument discographique, la reprise de Gold Dust Woman est à Ashes and Dust ce que sur la route est à Kerouac, un passage prodigieux plaçant la légende au-dessus de la masse bêlante.
C’est une nouvelle mystique que Warren Haynes donne au titre de Fleetwood Mac, la beauté chaleureuse d’une soirée autour d’un feu de camp. Heureusement que Grâce Potter n’a pas tenté d’imiter la voix hypnotique de Grace Slick, lui préférant un lyrisme proche de Joan Baez au milieu de la Rollin Thunder Revue.
Warren Haynes – Gold Dust Woman
Elle sublime ainsi une œuvre qui fait partie des repères définissant un genre, sans s’y conformer totalement. On appelle ça un chef d’œuvre.
Benjamin Bailleux (également auteur du blog Rock in Progress)