Ridley Scott, le surdoué
A n’en pas douter, Ridley Scott est un cinéaste surdoué. Dès sa première réalisation pour la Paramount : « Duellistes », il crève l’écran. Tout est déjà-là : les éclairages, le scénario, la direction des acteurs. Cette dernière pourrait rendre divin le jeu d’un bigorneau, le faire passer pour un pensionnaire de l’Actors Studio. Et si, dans ce qu’il propose à l’écran, il n’est pas responsable de tout, indéniablement, il sait s’entourer.
Le qualificatif attribué à son propos : « surdoué », est-il trop élogieux ? Jugez de ce qui suit … mais, comme je vous connais, vous ne l’ignoriez pas !
Une filmographie 24 Carat
Après « Duellistes », film « costumé » en pleine année punk : 1977, Ridley Scott réalise rien moins qu’« Alien, le huitième passager » (1979) avec la Guerrière Sigourney Weather, puis « Blade runner » (1982) et son Josh Randall contemporain : Harrison Ford, l’ultime chasseur de prime. Malgré une première période « d’absence », tel le Phénix, il renaît de ses cendres.
Il réactive sa créativité pour livrer quelques « bricoles » du type : « Thelma et Louise », où les divines Susan Surandon et Geena Davis tordent leurs destins, et « 1492 : Christophe Colomb » (1992), campé par l’inénarrable Gérard Depardieu. Adepte, semble-t-il, de bonds dans le temps, espaces peuplés de pellicules un rien moins inspirées, il bouchonne la fin des 90’s pour mieux rutiler dans les années 2000 avec « Gladiator » (2000), sa première collaboration avec Russell Crowe, et « Kingdom of Heaven » (2005), film au budget pharaonique ne serait-ce que pour « salairiser » Liam Neeson, Orlando Bloom, Eva Green, Jeremy Irons et consort.
Les frères Scott
Le talent relève-t-il de la génétique ? Tony Scott, le petit frère de Ridley, copule également la caméra. De cette étreinte naît des longs métrages épatants comme : « Les prédateurs » (1983), avec, excusez du peu, Deneuve et Bowie, « Top gun » (1986) et son Cruise en jet-libre, et le jubilatoire « True romance » (1993), une apologie de la déglingue magnifiée par Christian Slater et Patricia Arquette. A noter, On trouve Tarantino au scénario, ceci expliquant cela.
Pour que l’argent reste en famille, les deux frères fondent une société de production : dollar, dollar …
A la hussarde !
Couvrant la période entre 1800 à 1814, « Duellistes » relate l’antagonisme entre deux officiers de la Grande Armée durant les campagnes napoléoniennes. Ce faisant, le film traverse les saisons, les modes vestimentaires militaires et l’Europe au gré des plans de l’Empereur et de ses projets de conquête.
Gabriel Féraud, joué par Harvey Keitel, est un officier querelleur, revanchard et lunatique du 7ème Régiment de Hussard. Provocateur, brutal, il pratique le duel comme d’autres le jeu de dames. Suite à un de ces duels, une demande de mise aux arrêts est prononcée à son encontre. Armand d’Hubert, joué par Keith Carradine, un autre officier mais du 3ème Régiment de Hussard celui-là, doit assurer cette arrestation. Féraud le prend très mal. Il défit d’Hubert en duel. Ce dernier relève le gant et blesse son offenseur. A partir de là, c’est l’escalade.
Suivant les déplacements de leurs régiments, de Strasbourg à Augsbourg, de Lübeck à la Campagne de Russie, les rencontres entre les deux hommes donnent naissances à de multiples confrontations. Toutes les armes y passent, du fleuret au sabre et au pistolet, les conditions de déroulement également : à pieds ou à cheval. Chacun gagne les différents duels à tour de rôle sans toutefois trop estourbir son adversaire, emportant simplement en souvenir une tranche d’épaule, un scalp ou un bout de peau du dos.
Duellistes – Tous les duels
Des acteurs merveilleux, une image sublime
Sans cabotinage, à l’expression du visage, du mouvement des corps jusqu’aux fond des yeux, les deux acteurs assurent des prestations d’un naturel époustouflant. Ils sont les personnages, ils vivent en eux. Lorsque, inlassablement, Harvey Keitel provoque Keith Carradine, les traits de ce dernier expriment toute la répulsion qu’il ressent à combattre, dégoût mêlé de peur et d’excitation. Quant à la pugnacité hargneuse qui caractérise le personnage endossé par Keitel, elle transpire via ces infimes tremblements de moustache, ces clonies palpébrales, ce palpable désir d’assassinat.
L’image, quant à elle, bénéficie d’un traitement merveilleux. Les éclairages génèrent une clarté cristalline tout autant qu’un voile safrané, transformant chaque plan en un tableau voué à la contemplation. En extérieur, les feuilles des peupliers-trembles passent de la lumière à l’ombre telles de fines langues argentées brillant puis s’assombrissant sous le souffle vent. Des raies de soleil traversent la proche canopée lorsque, au petit matin, la brume s’élève du pré où les hommes doivent défendre leurs honneurs. Une larme de vin ou d’eau salée glissant d’un verre ou d’une paupière produit gracieusement un « ploc » en touchant la surface du bain, un séisme nain.
Les Duellistes – Bande annonce
Chez Ridley Scott, quel que soit le film, l’image se doit d’être sublime. Pour « Duellistes », osons un parallèle avec celle stylisée de « Barry Lindon » (1976), film signé Stanley Kubrick. Peur de quoi ? Si le ridicule ne tue pas … c’est qu’il n’existe pas.
Duellistes – Les acteurs
Harvey Keitel présente une filmographie véritablement pléthorique. Connu et reconnu pour ses participations aux célèbres et célébrés : « Reservoir dogs » de Tarentino et « Bad lieutenant » de Ferrara en 1992, puis « La leçon de piano » de Jane Campion en 1993, il reste pourtant assez discret. A mon sens, il n’aura jamais eu de rôles aussi forts que dans ces trois films, « Duellistes » mis à part, pellicule où il trône : solaire. Bizarrement, il se fond d’avantage dans une « équipe » qu’il ne tire la couverture à lui. Un exemple de modestie au service de rôles extravertis.
Keith Carradine présente une carrière moins volubile et plus discrète. Hormis « Duellistes » où il déchire l’écran, il n’obtient pas de rôles suffisamment puissants pour figurer tout en haut de l’affiche. Et c’est avec surprise qu’on le retrouve, un soir, sur les écrans de télévision, à l’occasion de deux épisodes de la série « Esprits criminels ». Un talent inexploité.
Ridley Scott : l’utopiste du réel
Ridley Scott est un réalisateur qui met les rêves en action. La projection mentale des scènes qu’il tourne passent directement sur l’écran. Est-ce pour cette raison que ses films nous paraissent si contemporains, que nous nous attendions à leur continuité hors de la salle de projection, à même la rue ? C’est probable. En tout cas, « Duellistes » fait cet effet-là : « Qu’on m’amène mon cheval et mon sabre, ça pullule de cosaques alentour ! ». En attendant que l’intendance réagisse, retournons voir le film.
Thierry Dauge