The WHO : WHO’S NEXT – Un album de légende enregistré dans la douleur
Début 1971, Pete Townshend essayait de réaliser un film musical choquant et provoquant.
On peut aujourd’hui miraculeusement écouter les 14 maquettes de l’album enregistrées en solo par Pete Townshend.
Un raccourci idéal pour ceux qui n’ont pas pu acquérir le coffret de six CD “Lifehouse Chronicles” vendu dès 2000 sur le site de Townshend.
Retrouvez également notre article concernant l’histoire de la pochette de l’album Who’s Next.
Pete Townshend présente son projet : Lifehouse
Il avait donné une conférence de presse le 13 janvier au Young Vic Theatre de Waterloo, dans le sud de Londres et avait présenté son projet intitulé «Lifehouse». Ce serait, selon ses termes, le premier vrai film de rock. Mais sa présentation pouvait sembler nébuleuse:
« Nous avons l’intention de produire une fiction filmée, qui sera, ou bien une pièce de théâtre, ou bien un opéra. De donner une représentation totalement différente de tout ce qu’on a vu jusqu’à maintenant en matière de film rock. Nous sommes en train d’en écrire l’histoire et l’interpréterons dans ce théâtre. Le son sera quadraphonique et nous utiliserons des bandes préenregistrées. 400 personnes sont impliquées dans le projet. Nous voulons jouer une musique qui représente chacun d’eux. Je serai, moi, comme un ordinateur, j’intégrerai toutes les données pour les ressortir ensuite ».
«Lifehouse» ne fut jamais tourné
Ce que Townshend considéra comme l’échec d’un projet utopique allait donner naissance à l’un des plus fabuleux albums de rock de tous les temps, « Who’s Next ».
Pourquoi le projet de film n’était-il pas parvenu à terme?
A la fin des années 90, Pete parvint à la conclusion que le meilleur support pour son projet était la radio. «Lifehouse» fut présenté à la BBC et, fin 1999, deux coffrets (l’un de 6 CD, l’autre de 7 CD) offraient une vision assez complète de l’ambitieux «Lifehouse».
L’invention du CD-rom avait grandement simplifié le principe d’interactivité auquel tenait tant Pete dès 1970
Par quels méandres «Lifehouse» était-il passé pour devenir, au final, un album de rock incontournable?
Pour commencer à comprendre, il faut se plonger dans les notes qui accompagnent la réédition de «Who’s next» en CD près d’un quart de siècle plus tard (1995).
Townshend fait reposer l’échec du projet «Lifehouse» sur la non-implication de son manager Kit Lambert. Mais c’était un peu de sa faute. C’était Lambert qui l’avait aidé, poussé à concrétiser le projet «Tommy» et même à le publier sous forme de double album, ce qui était hardi pour l’époque. Et en remerciement, lorsque Lambert avait voulu porter «Tommy» à l’écran, Townshend le lui avait refusé avec dédain.
Rabroué, se sentant comme un amoureux de l’art éconduit, Lambert était passé à autre chose. Il était parti à New York produire un album de Patti Labelle… Et il prenait de plus en plus de drogue. Sans son mentor, Townshend se sentait paumé.
Peter Townshend portait le projet «Lifehouse» à l’esprit. Il l’entendait en lui, mais il n’arrivait pas à exprimer concrètement ses idées aux autres membres du groupe. Il était parvenu à faire se passionner Daltrey, Moon et Entwistle pour «Tommy» en partie grâce à la pugnacité de Lambert. Sans lui, le projet n’aurait jamais pris forme. Maintenant, pour «Lifehouse», il n’en allait plus de même.
Plus les Who passaient de temps au Young Vic Theatre et plus le projet s’embourbait.
Et puis, pour Keith, voir en permanence cette foule grouillante qui lui rappelait celle qui avait entouré sa voiture le soir de la mort de son chauffeur, c’était quasiment insoutenable. Frank Dunlop, directeur artistique du Young Vic Theatre, se joignit à eux. Il les aida de son mieux mais cela ne servit à rien. Townshend avait besoin d’être épaulé par un génie de son envergure pour l’accompagner dans le labyrinthe de son esprit, pour l’aider à concrétiser ses visions. Et la seule personne qui en était capable se trouvait à des milliers de kilomètres de Londres en train de se défoncer à l’héroïne.
Au terme de l’aventure, Pete fut bien obligé de reconnaître que ça ne tenait pas debout. La chose la plus importante à faire, pour ne pas avoir bossé pour rien, consistait donc à sortir un album en sauvant du naufrage ce qui pouvait être sauvé.
Who’s next : des séances d’enregistrements furent calées en mai et juin dans deux studios différents.
Au Stargroves, le studio de Mick Jagger installé dans sa maison de campagne de Berkshire, at à l’Olympic en plein cœur de Londres. Pour l’occasion, on fit appel au pianiste Nicky Hopkins pour compléter l’équipe, comme en 1965. Glyn Johns fut recruté en tant qu’ingénieur du son et producteur associé… Glyn Johns, dont le chemin avait croisé celui des Who au moment de l’enregistrement de leur premier album (1965), s’était construit au fil des ans la réputation d’être le producteur par excellence. Il travailla avec Led Zeppelin, les Rolling Stones… Et même avec les Beatles sur l’album «Get Back» (1969) avant que celui-ci soit repris en main par Phil Spector et devienne «Let it be».
The Who – Baba O’riley
Who’s next : Glyn Johns aux commandes
Cette fois, le voici aux commandes de ce qui va devenir «Who’s next». Sa mission: débroussailler une œuvre confuse et a priori inexploitable («Lifehouse») pour en tirer un album de rock cohérent. Et même si, officiellement, Kit Lambert (au même titre que Chris Stamp et Pete Kameron) est crédité comme producteur exécutif, il faut savoir que, lorsque le «producteur associé» Glyn Johns remit les bandes de «Who’s next» à Lambert, il n’y avait pas grand-chose à y modifier.
Mais il faut également reconnaître que Johns eut la tâche facilitée par le fait que Townshend lui avait remis un paquet de chansons d’excellente facture et des idées innovantes. Il ne restait plus qu’à creuser ou à les mettre en application. L’usage du synthétiseur, par exemple, était déterminant à un moment où les autres musiciens de rock avaient peur de cet engin qui, selon eux, risquait de les mettre au chômage !
Townshend, plus particulièrement sur «Won’t get fooled again» et «Baba o’Riley», prouvait que, dans le rock, l’homme et la machine pouvaient parfaitement cohabiter (ce qui, d’ailleurs, était l’une des idées fortes de «Lifehouse»). En revanche on ne peut pas nier qu’en utilisant le synthé, les boucles et les séquences, les Who couraient un énorme risque, celui de voir leurs fans crier au blasphème.
Un énorme risque ? Deux, en réalité !
Si, dans le meilleur des cas, les rockers acceptaient cette idée apparemment saugrenue d’utiliser un ordinateur dans un disque de rock, alors d’autres groupes prendraient le train en marche, feraient évoluer l’idée… Et très rapidement, peut-être en seulement quelques mois, les Who se verraient dépassés, considérés comme vieux jeu. Par chance, ils n’eurent pas à s’en inquiéter. Baba o’Riley, titre qui ouvre l’album, est rapidement devenu un hymne rock.
Daniel Lesueur