Champion Jack Dupree – Le Blues du boxeur

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Champion Jack Dupree

Champion Jack Dupree
Le Blues du boxeur

« ‘De Dieu… Un d’ces crochets du gauche l’enfoiré… »

Jack ne voit déjà plus de l’oeil droit. L’arcade sourcilière pisse le raisiné et dégouline sur le globe oculaire qui a pris des airs de balle de ping-pong. Encore cinq rounds à tenir. Une éternité. « Si je tiens… À ce tarif là c’est pas dit ». L’autre en face arrête pas de lui tourner autour. Un p’tit jeune. Tout sec, nerfs et os. Cardio d’enfer. Increvable. Ca y est il remet ça. Pas eu le temps de protéger le foie. « Vache, ça fait mal ». Envie de gerber qui monte. « Accroche toi. Pense à autre chose. Tiens, la fille de l’autre jour, pas mal enrobée la poulette. Un bon moment. Ca pour sûr. ».

Coup de gong.

Jack retourne sur son tabouret. Deux minutes de répit sous l’éponge de l’entraîneur qui essuie tout cette hémoglobine qui macule son torse et son short. « Putain mais on a combien de litres de sang dans la viande… ».

Gants de boxe

C’est court deux minutes…

… Faut y retourner. « Merde pourquoi j’ai accepté ce combat, ça va être celui de trop, sont trop forts ces p’tits cons qui montent, merde j’ai à peine trente berges et chuis déjà un croulant dans ce métier ». Jack n’a rien venu venir. Uppercut et crochet enchaînés, à toute volée. Au travers de sa vision de cyclope il entrevoit d’abord le bois mal dégrossi du ring, tout près, et puis la silhouette immense de l’arbitre, là haut, qui mouline du bras comme un furieux pendant le décompte. 7, 6, 5, 4…

« C’est fini ».

Jack est assis dans les vestiaires. On délace ses gants. Encore dans la vape il voit comme des touches blanches et noires qui dansent. Elles n’arrêtent pas de tournoyer, de plus en plus vite. Et puis il y a aussi comme une musique, là, sous son crâne douloureux. Chaude, vivante, qui réchauffe son cœur et sa carcasse broyée .
« Ouais c’est fini, bien fini. Marre. »
Et les touches blanches et noires continuent de tourner… Tourner… Tourner…

Étonnant que le cinéma…

… ne se soit pas emparé de la vie de Champion Jack Dupree. Il y aurait pourtant de quoi faire pleurer dans les chaumières. Qu’on en juge : peut-être né en 1910, l’intéressé lui-même n’en est pas certain, à la Nouvelle-Orléans, il perd ses parents dans un incendie. Le petit Williams Thomas Dupree, âgé seulement d’un an, se retrouve dans un orphelinat dont l’ambiance tiendrait plutôt de la maison de correction. 13 ans plus tard il quitte l’établissement. Commence alors pour l’adolescent une survie peuplée de petits larcins et de mendicité avec, pour tout logis, des carcasses de bagnoles abandonnées ou les wagons des gares de triage. Avenir radieux…

Champion Jack Dupree

Mais la providence…

… va se manifester sous les traits d’ une certaine madame Gardner qui recueille le jeune Dupree et devient pour lui une véritable mère de substitution. C’est sous ces augures plus favorables que Williams Thomas se découvre deux passions, le piano et la boxe. Cette dernière le tarabuste à tel point qu’il va en faire son métier durant huit années, jusqu’en 1940. Il n’en délaisse pas pour autant les petites touches noires et blanches pour lesquelles il manifeste un don certain. Et quand il délaisse le ring, c’est pour se produire dans les bouges mal famées de la ville où la musique du Diable est reine.

Champion Jack Dupree

1940

Las de se faire démolir pour quelques malheureux billets, Champion Jack, car c’est maintenant sous ce sobriquet pugilistique qu’il est de bon ton de lui adresser la parole, raccroche les gants. Il s’installe à Indianapolis, y rencontre Leroy Carr, musicien réputé qui sera une de ses influences majeures, et qui lui ouvre les portes des studios d’enregistrement pour son premier 78 tours. Finis les coups. Champion Jack Dupree gagne désormais sa croûte grâce au piano.

Champion Jack Dupree – I Hate To Be Alone

La guerre le rattrape…

… en 1942. Direction le Pacifique. Rapatrié at home en 44 après avoir goûté pendant deux ans au confort tout relatif des camps de prisonniers japonais, il gagne New York et y enregistre à tour de bras pour de nombreux labels avec la crème des zicos que compte la Grosse Pomme, notamment Sonny Terry et Brownie McGhee. S’ensuivra une belle et longue carrière aux quatre coins du monde jusqu’à sa mort en 1992.

Champion Jack Dupree

Pour ce qui est de chanter le Blues…

… Champion Jack Dupree ne démérite pas de son surnom. Formidable conteur, ses chansons parlent du quotidien. Vécu souvent cru à l’humour féroce, inspiré par une vie sur la brèche, riche en rencontres et peuplée de personnages hauts en couleur à la silhouette souvent féminine. Blues épuré. La sophistication c’est pas son truc au Champion. Héritier du Boogie Woogie, le sien est à l’image des nombreux rings où il sua sang et eau. Punchy. Rugueux. Avec le temps il saura aussi le dompter, pas pour l’affadir mais, au contraire pour l’enrichir de pincées jazzy au swing efficace.
La voix, sculptée aux breuvages redoutables des juke joints, abandonne parfois le chant pour laisser la place à un talk over, comme un ancêtre lointain des toasters et des rappeurs, engendré par les eaux boueuses du Mississippi.

Champion Jack Dupree – Everyday I Have The Blues

Champion Jack Dupree laisse derrière lui une discographie tentaculaire d’autant plus difficile à débrouiller puisqu’il enregistra souvent sous de nombreux pseudonymes.
Si l’envie vous prend de jeter les deux oreilles sur l’art du bonhomme, ces deux albums font partie des incontournables :

Champion Jack DupreeNatural and Soulful Blues – 1959 – Atlantic

Champion Jack Dupree
Champion of the Blues – 1959 – Atlantic

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POUP
Laurent Poupinais, alias Poup. Diverses aventures dans le monde du fanzine (Nestor Mag, La Chronique Du Vermifuge), dans le Rock Punk/Garage (Les Ambulances, Mystery Machine, Traffic Drone) en tant que batteur. Dessinateur addict au noir et blanc qui réalise des illustrations pour des fanzines (Rock Hardi , Cafzic) mais aussi des visuels pour des groupes (pochette de disque, T-shirt, affiche, flyers et toutes ces sortes de choses).

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