Hound Dog Taylor, le boogie féroce

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Hound Dog Taylor, le boogie féroce

Hound Dog Taylor
Hound Dog Taylor

Un petit nuage de poussière…

… Et puis un autre. Et encore un autre. À chaque pas la démarche saccadée de l’enfant soulève une mini-tempête de sable qui mettra plusieurs minutes à retomber complètement dans l’air sec du soleil couchant. C’est vrai qu’elle fut chaude cette journée. Interminable. Le corps douloureux courbé vers le sol, les mains irritées au sang par les barbes du coton. Mais pour l’instant le gamin s’en fout. Il n’est pas content de rentrer chez lui, trouver le repos et une bonne assiette bien remplie. Il sait que ça va barder. Que lui il ne pardonnera pas. Lui. L’autre.

Le type qui a pris la place de son père quand celui-ci s’est fait la malle. Il avait deux ans. Aucun souvenir. Pas comme les raclées que l’autre, quand il ne dérouille pas sa mère, lui donne pour un oui ou pour un non. Ca il s’en souvient. Et ce soir ça va être terrible.

Déjà hier, après la messe…

… Il n’avait pas envie de retourner à la maison. Il était parti traîner toute la journée avec une fillette de son âge. Elle était jolie dans sa robe du dimanche et ça lui faisait tout drôle en dedans, comme des picotements dans son coeur de môme de 9 ans. Rentré à la nuit et parti à l’aube pour les champs il n’avait pas encore croisé Evans. C’est le nom de l’autre. Qui n’a jamais pu le saquer, dès le départ. Et puis pourquoi au juste ? À cause du sixième doigt que la nature s’était crue devoir lui ajouter à chaque main ? Le prenait-il pour un monstre ? Une créature de Satan ? Car il était pieux le Evans. Poivrot, violent, mais jamais en retard à l’office pour laver son âme noire. Et ce soir elle le serait plus que jamais.

Voilà la maison, au bout du chemin…

… Evans est là, sur le perron, la mère derrière, effacée, comme toujours. Le gosse approche mais ce n’est pas la gueule renfrognée de son beau-père qu’il regarde, effaré. C’est une autre gueule, celle du canon du fusil braqué sur lui. Tenant l’arme d’une main, Evans ramasse un sac à ses pieds et le lance au gamin. Deux chemises et un pantalon de rechange. Toute sa richesse. « Dégage ! » L’homme a parlé. Tout est dit. La mère chiale tout ce qu’elle peut, désemparée. Sur que ce soir elle se prendra une rouste de première. L’enfant ramasse ses affaires, regarde une dernière fois le trou béant au bout du flingue.

Ca y est, il est parti. La nuit est presque tombée maintenant et à chaque pas un petit nuage de poussière se soulève. Et puis un autre. Et encore un autre…

Hound Dog Taylor

No future

Ainsi commence la vie d’adulte de Theodore Roosevelt Taylor. Brutale, sans passage par la case adolescence. Et sans grande perspective, comme l’est la vie de la plupart des Afro-américains dans ce Mississippi des années 20. Que faire, seul, à la rue ? Heureusement sa sœur aînée, qui a eu la bonne idée de fuir le toit familial et vit non loin, décide de recueillir son petit frérot. La situation de l’infortuné gamin semble aller vers de meilleurs hospices mais, bon, et après… Pas con le môme, il sait bien que ce qui l’attend c’est une vie à ramasser ce foutu coton, avec au bout une vieillesse prématurée, usé jusqu’à l’os par des décennies de labeur.

Le piano de la frangine

Oui mais… Il y a le piano. Qui trône dans la salle à manger. Theodore s’amourache carrément de l’instrument. Ca l’obsède. Au point que tous les soirs, bien que crevé par sa journée aux champs, il s’acharne à reproduire les chansons de Charlie Patton, un des rares bluesmen de passage qu’il a eu l’occasion de voir et dont il connaît un peu le répertoire. Ainsi les années passent. Theodore est devenu un grand échalas de vingt berges qui bosse toujours dur. Il n’a pas lâché la musique et se sent prêt à affronter le circuit des juke joints, ces bars clandestins nés de la ségrégation où les Noirs du Delta se retrouvent pour boire un coup et écouter de la musique.

Des débuts difficiles

Les débuts sont plutôt difficiles. Le jeune musicien trimballe comme il peut son piano à dos de mule pour gagner le plus souvent un demi dollar et un sandwich. Mais il s’accroche. Il réussit à économiser quelques billets pour s’acheter sa première guitare, quand même plus pratique à transporter, et dont il apprendra à jouer seul, comme le piano. Le début des années 40 le voit s’installer à Tchula, petite ville où les clubs sont plus nombreux, ce qui lui permet de progresser au contact de guitaristes déjà confirmés comme Elmore James.

Premier groupe

C’est aussi à cette époque que notre bluesman en herbe fera quelques prestations radiophoniques à l’occasion de la création de l’émission King Biscuit Time sur la station KFFA en Arkansas. En confiance, Theodore monte même son premier groupe avec un harmoniciste, un joueur de planche à laver et un autre compère à la contrebassine. Les concerts se multiplient, les cachets augmentent, l’avenir semble sourire à Theodore Roosevelt Taylor… Mais…

Hound Dog Taylor et Little Walter – Wild About You Baby

1942

1942. Année décisive. Theodore a 25 ans et sa vie aurait bien pu s’arrêter là.
Le musicien commence à jouer dans des clubs blancs et, un soir, il fait la connaissance d’une spectatrice avec qui il entame une relation. Mais ce que le jeune homme ignore, c’est que le mari de la donzelle est membre du Ku Klux Klan. Une nuit Theodore voit plusieurs voitures stopper devant chez lui. En sortent une cinquantaine d’hommes avec des chiens qui commencent à encercler la maison. Taylor a juste le temps de fuir et d’échapper au lynchage.

Nouveau départ

Après avoir dormi dans un fossé, il se réveille au petit matin avec en tête un terrible constat : il est définitivement grillé dans le coin. S’il reste, c’est la mort à plus ou moins brève échéance. Sans hésiter il prend le premier car pour Memphis et de là monte à Chicago chez sa sœur qui a emménagé là-bas depuis quelques années. Une nouvelle vie commence pour celui que l’on va bientôt appeler Hound Dog Taylor.

Hound Dog Taylor

Hound Dog Taylor and the HouseRockers – It’s Allright

Chicago

Et d’ailleurs, d’où lui vient ce sobriquet de Hound Dog ? La légende raconte qu’un de ses amis, devant l’assiduité de Hound Dog Taylor auprès de la gente féminine, lui aurait dit : « Avec les gonzesses, mec, t’es comme un vrai chien de chasse ! » Flatté, le bluesman avait trouvé son nom de scène. Mais si le succès est au rendez-vous avec les femmes, on ne peut pas en dire autant au sujet de sa carrière. Theodore enchaîne les concerts dans des clubs de seconde zone, bouclant les fins de mois avec des petits boulots. Il faut dire qu’un problème s’est invité entre temps : le whisky dont le musicien fait une consommation impressionnante et qui n’est certainement pas étranger à un caractère parfois ingérable. Bref ces années cinquante se termine sur un bilan un brin tristounet. Les sixties vont-elles leur ressembler ?

Rencontre décisive

Il semblerait que non car le Hound Dog rencontre en 1960 un autre guitariste du nom de Brewer Phillips, lui aussi natif du Mississippi, avec qui il commence à jouer régulièrement. Les deux hommes se découvrent le même goût pour un son cradingue et un Blues sauvage que Taylor va booster par un furieux jeu de slide.  Le duo se baptise The HouseRockers et bientôt Theodore décroche enfin l’enregistrement de quelques singles sur le label Bea & Baby puis, en 1967, sur Checker et la même année participe à la tournée de l’American Folk Blues Festival.

Acte de naissance d’un trio

Et surtout, deux ans auparavant, en 1965, il avait recruté à la batterie une vieille connaissance, Ted Harvey, qui jouait en amateur dans les clubs de son Chicago natal. Son jeu tout en roulements pulse à merveille ce boogie survitaminé. Le trio infernal, Hound Dog Taylor and the House Rockers, était né. Tout s’accélère pour Taylor mais ce qui lui manque encore, c’est l’objet magique qui le sortira de l’ombre, un album…

Hound Dog Taylor and the HouseRockers

Bruce Iglauer

Bye les sixties, bonjour 1970. Bonne augure, Hound Dog Taylor and the HouseRockers jouent au Ann Arbor Festival devant un public nombreux et impressionnent par leur Blues saturé et leur line-up sans bassiste. Ils continuent néanmoins d’écumer les clubs de Chicago. Un après-midi, alors qu’ils jouent au Florence, dans le South Side, ils sont approchés par un jeune blanc, un certain Bruce Iglauer. Ce dernier n’est pas un inconnu pour Hound Dog Taylor qui l’avait déjà rencontré dans un club l’année précédente. Iglauer est un fan absolu de Blues et ne tarit pas d’éloges sur la puissance du trio. Il bosse depuis quinze jours comme homme à tout faire chez Delmark, un label spécialisé dans le Jazz et le Blues, fondé par le producteur Bob Koester. Bref, entre les HouseRockers et Bruce, c’est le coup de foudre.

Alligator Records

Immédiatement le jeune homme branche son patron sur sa nouvelle trouvaille. Hélas, Koester, en vieux briscard du Blues made in Chicago, connaît la réputation de Taylor et refuse de signer un type qui, selon ses dires, est « toujours ivre ». Têtu le lascar ! Mais son employé l’est tout autant que lui. Têtu et aussi chanceux. Ce qui suit est digne d’un scénario de film. Iglauer a fait, peu de temps auparavant… Un héritage. 2500 dollars. En fan ultime, il n’hésite pas une seconde. Puisque son boss fait la gueule, il produira lui-même le premier album de Hound Dog Taylor and the HouseRockers ! Pour cela il fonde Alligators Records qui voit alors le jour en 1971, futur label mythique qui signera des pointures du Blues chicagoan comme Son Seals.

Hound Dog Taylor and the HouseRockers, live au Ann Arbor Festival, 1970

La qualité du son et de l’image ne sont pas au rendez-vous mais c’est un témoignage rare des HouseRockers sur les planches

L’enregistrement est rapide, en mode live, et le combo met en boîte de quoi sortir deux albums. Pourquoi pas un single d’abord ? Iglauer n’y a même pas songé. Il fait partie de la génération « 33 tours » qui a vu les Led Zeppelin et autre MC5 privilégier des formats longs et plus ambitieux, le 45 tours, essentiellement destiné aux radios Pop, étant considéré comme jetable et sans lendemain.

Le premier LP, sobrement intitulé « Hound Dog Taylor and the HouseRockers », sort donc en cette heureuse année 1971. Et c’est un carton, surtout auprès des nouvelles radios libres qui fleurissent un peu partout aux US. Vont s’ensuivre deux autres opus, un albums studio, « Natural Boogie », en 1974, perle absolue, et un live, « Beware Of The Dog », en 1976, dont le son féroce retranscrit parfaitement la niaque du groupe sur scène. Les deux galettes obtiendront le même succès que la première, faisant de cette trilogie un classique du Blues électrique.
Hélas Hound Dog Taylor ne verra pas la sortie de ce dernier disque. Un cancer des poumons le fauche à seulement 60 ans.

  Natural Boogie         Beware Of The Dog

Malgré tout et après une vie semée d’épreuves, Hound Dog Taylor perdure avec l’image d’un homme résolument optimiste, offrant de la bonne humeur et une musique festive  redoutablement efficace. Il avait d’ailleurs dit un jour à Bruce Iglauer : « When i die, don’t have a funeral, have a party ». Bel épitaphe.

The HouseRockers
Illustration : POUP

POUP

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POUP
Laurent Poupinais, alias Poup. Diverses aventures dans le monde du fanzine (Nestor Mag, La Chronique Du Vermifuge), dans le Rock Punk/Garage (Les Ambulances, Mystery Machine, Traffic Drone) en tant que batteur. Dessinateur addict au noir et blanc qui réalise des illustrations pour des fanzines (Rock Hardi , Cafzic) mais aussi des visuels pour des groupes (pochette de disque, T-shirt, affiche, flyers et toutes ces sortes de choses).

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