QUEENSRYCHE – Empire
« Empire … », ou Queensrÿche au plus haut de sa créativité, accessit à une maturité artistique plus jamais égalée.
Nous sommes en août 1990. Outre un EP cinq titres éponyme sorti en 1983, Queensrÿche publie son troisième long format : Empire. Il fait suite à Operation Mindcrime (1988), album qui consacre le groupe mondialement et précède son chant du cygne, le splendide Promise Land (1994). Par la suite, si le groupe continu à sortir des disques, cette sorte de « magic touch », cette capacité à proposer des chansons grandioses et puissante a disparu.
Avec Empire, les membres de Queensrÿche font figure d’ébénistes au pays du métal. Nonobstant, il existe des arbres au bois très dur, pour la plupart dits « exotiques », en provenance des forêts tropicales comme le Jatoba ou le Cumaru, capables de rivaliser avec l’acier. Faire de la marqueterie à partir de ces essences nécessite une musculature saillante manœuvrant des d’outils tranchants. Pour peu qu’on y incruste des chromes, les chansons délivrent toute leur âpreté sous des éclairs de fulgurances aurifiées.
QUEENSRYCHE – Empire
Dès The Warning (1984), Queensrÿche se démarque de ses influences, des formations de la NWOBHM telles Iron Maiden ou, même s’il clouait déjà des tympans bien avant, Judas Priest. Les chanson sont plus longues et adoptent un aspect « progressif » sans tomber dans la démonstration instrumentale apparentée au genre. Par contre, les médiators et les baguettes sont toujours coulés dans un alliage renforcé qui projette des scories au sortir des amplis.
NM 156
En 1986, avec Rage For order, le groupe profite de quelques titres pour se démarquer encore un peu plus. Des effets synthétiques s’acoquinent aux guitares électriques. Hyper lookés, permanentes et costumes brodés, pose et fashion 80’s, les musiciens s’extraient de la horde « cuir, clous, spandex à rayures ». Musique et paraître tendent au néoromantisme, à la limite du jabot sous le trois-quarts napoléonien. Persistent les décibels.
QUEENSRYCHE – The Whisper
Politisant son propos, dénonçant la manipulation de masses à l’œuvre sous le joug des tyrans, 1984 de George Orwell en point de mire, Queensrÿche assène Operation Mindcrime (1988), un album conceptuel. De toute beauté, capable de réunir métalovores et rockeurs moins radicaux sous l’esthétisme musical de sa flamboyante partition, le parti pris séduit. Là où la concurrence découpe des riffs à l’emporte-pièce, nos cérébraux chevelus élèvent des sculptures inoxydables. En matière de « bruit » orchestré, toute la différence entre le lièvre et la tortue consiste en l’intelligence du chélonien. En cela, Queensrÿche produit un heavy metal mûrement réfléchi.
Operation Mindcrime
« Chi va piano va sano e va lontano » ? Peut-être bien. Dans tous les cas, mobiliser son cerveau ne peut pas nuire. Pour Empire (1990), album qui suit « l’esprit assassiné », carte blanche est donnée à Chris DeGarmo, le guitariste soliste du quintette. Introverti, il livre des pages de noirceur hélicoïdale qui s’élèvent à mesure qu’elles s’amplifient. Onyx sidérales, elles luisent mystérieusement depuis le fond des circonvolutions qui les contiennent.
Hélas, la quantité d’uranium nécessaire au façonnage de ces comètes cémentées viendra bientôt à manquer. En matière de composition, il ne reste dans les chausses du groupe que de quoi garnir un seul et unique opus. Promise Land (1994), l’album paru quatre ans plus tard, s’il conserve cette aura magnifique, signe également le fin du règne de la « Queen Of The Reich ».
QUEENSRYCHE – Damaged
A l’écoute de Promise Land, un sentiment étrange étreint l’auditeur, la sensation que tout est désormais fini, chaque chanson en exécuteur testamentaire. Pourtant, l’AOC persiste, cette capacité à proposer un produit « fini ». L’énergie déchire, les ciselures dessinent de réjouissantes arabesques où transpire l’art mauresque, des mélodies gustatives assurent un savoureux moment dépourvu d’insipidité, boutent au large l’ennui des séries.
Mais rompre les unions érodées plutôt que lasser gagne les esprits. Queensrÿche laisse alors filer sa muse. Elle ne reviendra plus.
Anybody Listening ?
Au final, le groupe aura livré cinq albums témoignant de son savoir-faire musical … et de sa clairvoyante « Silent Lucidity ». « Au plus haut de sa créativité … », il refermait Empire par une chanson au texte éloquent : « Anybody Listening ? ». La question laissée sans réponse a voyagé jusqu’à nous. Et il n’est qu’à disséquer notre quotidien pour comprendre, triste évidence, que personne n’y répondra …
Thierry Dauge