Les débuts de Nick Kent dans la fiction
Tout d’abord quelques mots pour rappeler qui est Nick Kent. Journaliste musical -ou rock critic, selon la formule consacrée- Nick Kent a commencé sa carrière dans l’écriture aux côtés du légendaire Lester Bangs, à la rédaction du non moins mythique magazine Creem. Ayant quitté Londres, où il vit le jour, afin de rallier les États-Unis pour embrasser sa vocation, il a par la suite participé à la renaissance du NME, un autre titre phare. Dans les années 1970, il fraye avec le gratin du punk. Il fréquente Iggy Pop et le Stooges, les Sex Pistols, The Damned et bien d’autres. C’est même lui qui offre à Chrissie Hynde, la future tête de proue des Pretenders son premier job de pigiste.
British gonzo
Festoyer avec les rock stars les plus déjantées de l’époque n’est pas sans conséquences sur la santé de Nick Kent qui ne tarde pas à développer une sérieuse dépendance à l’héroïne et à la cocaïne. À fond dans le journalisme gonzo comme ses modèles Lester Bangs et S. Hunter Thompson, il traverse les années 70 puis les années 80 en alternant publications pour divers journaux et magazines à travers le monde (il fera un passage dans Les Inrockuptibles, Rock & Folk et Libération), se démêlant toujours plus ou moins avec ses propres démons.
Littérature punk
En 1996 paraît en librairie L’Envers du rock, une superbe collection de portraits de figures de la musique comme Prince, Johnny Cash et Sly Stone. Iggy Pop signe la préface. Son ouvrage de référence, Apathy for the devil, sous-titré en France Voyages au cœur des ténèbres, s’impose comme l’un des bouquins les plus rock and roll d’une littérature pourtant déjà riche en pamphlets rentre-dedans. Et ce n’est donc qu’à l’aube des années 2020, à presque 70 ans, que Nick Kent, cet écrivain revenu de tout, presque inexplicablement toujours vivant, s’est décidé à se mettre à la fiction. Sans toutefois trop s’éloigner de sa passion pour la musique amplifiée et quelques-uns de ses plus turbulents représentants.
À époque instable, musiciens instables
Le premier roman de Nick Kent s’intéresse aux Unstable Boys, un groupe de rock à tendance punk avant l’heure. Ne cherchez pas dans vos encyclopédies, ce combo n’a jamais existé, si ce n’est dans l’esprit de Nick Kent. Les Unstable Boys qui sont donc nés dans la Perfide Albion à la fin des sixties, peu de temps après l’éclosion des Beatles, Rolling Stones et autres Kinks.
Emmenée par les riffs d’un guitariste virtuose et portée par la gouaille d’un chanteur incontrôlable répondant au doux pseudonyme de The Boy, la formation grimpe quatre à quatre les marches du succès, enchaîne les tubes et explose en plein vol.
Dans les méandres du rock garage
Le roman commence à notre époque, plus de cinquante ans après la naissance des Unstable Boys. Alors que leurs contemporains les plus célèbres sont toujours dans l’esprit du public, les garçons instables eux, n’ont pas bénéficié de la même popularité durable. Même si au fond, quelques fans inconditionnels font de leur mieux pour entretenir leur légende.
Un jour néanmoins, une marque choisit de baser ses deux campagnes publicitaires sur des chansons du groupe, rappelant au monde que la musique des Boys était tout de même furieusement géniale. De quoi réanimer l’envie du chanteur, cet homme cramé, asocial, malfaisant même, de faire son retour, envers et malgré des collègues qui sont soit introuvables soit morts.
Au Panthéon du rock
Le livre suit la trajectoire de plusieurs personnages rattachés au groupe fictif que sont donc les Unstable Boys. On commence chez un journaliste rock, qui ressemble par ailleurs beaucoup à Nick Kent puis on fait connaissance avec le furieux The Boy, le chanteur du combo. Une sorte de version encore plus déglinguée de Sid Vicous, que l’on aurait croisé avec quelques traits de caractère de Jim Morrison et d’Iggy Pop.
Le roman s’intéresse aussi au guitariste rythmique du groupe, un homme aspirant à une vie tranquille, loin des projecteurs, allergique à la perspective de se livrer à un come-back, avant de terminer aux côtés d’un auteur de polar à succès, que le The Boy ne va pas tarder à harponner. Le chanteur ayant dans l’idée de forcer le romancier superstar à écrire son autobiographie pour engranger un maximum d’argent et rappeler au public qu’il reste l’une des rock stars les plus flamboyantes de l’histoire de la musique binaire.
Naissance d’un romancier
Ceux qui ont lu Apathy for The Devil ne seront pas surpris par le style de Kent. Certes ce denier s’essaye pour la première fois à la fiction mais l’environnement musical et la proximité avec des vrais musiciens, que Kent cite volontiers à tour de bras (on croise Morrison, Dave Grohl et bien d’autres), font qu’au final, The Unstable Boys ressemble parfois à une biographie. Surtout quand il s’intéresse au passé des musiciens.
Quand il s’agit en revanche de raconter son histoire au présent, Nick Kent surprend en faisant preuve d’une sensibilité à fleur de peau. Se projetant dans à peu près tous les personnages, le Britannique profite de cette occasion pour se raconter lui-même et pour faire, on l’imagine, amende honorable par rapport à ses erreurs passées.
La mélodie de la fureur
Mené à un train d’enfer, jamais ennuyeux, parfois drôle, bien sûr rock and roll au possible et, c’est plus étonnant, vraiment émouvant par moment, The Unstable Boys est une réussite exemplaire. Avec une facilité déconcertante, Nick Kent passe d’une époque à une autre et d’un personnage à l’autre pour au final ne former qu’un tout, cohérent et puissant. Jamais complaisant, sincère et brut de décoffrage, ce roman fort recommandable contient de vraies pépites punk ainsi qu’une fureur pas toujours contenue, qui explose au fil des pages.
Alors que les mots défilent et que Kent donne vie à ce groupe sorti de son imagination, inspiré par des formations comme les Stooges, les Doors ou The Damned, c’est presque comme si on entendait la musique émerger, entre les lignes, pour nous percuter de plein fouet.
Jusqu’au bout, la mélodie que Kent compose nous habite. Jusqu’à la dernière page, après avoir mixé les genres, touché au polar ou à la comédie absurde, avec un flegme tout britannique, osant l’émotion à fleur de peau et la critique perspicace, sans cynisme, Nick Kent choisit l’apaisement. Son livre, certes brillamment bruyant expulse autant de décibels qu’il encourage tout un panel de sentiments plus nuancés. Espérons que le succès soit au rendez-vous et que le rock critic continu sur cette lancée…