ADAM And The ANTS – Kings Of The Wild Frontier
A ses débuts discographiques, Adam & The Ants présente un visage quelque peu différent de celui qu’il va prendre sur Kings Of The Wild Frontier (1980), son album de référence. Dans Dirk Wears White Sox (1979), le propos est post punk, hérissé d’échardes électriques sur des rythmiques heurtées, no mans land situé entre Siouxies And The Banshees et Gang Of Four. Adam Ant chante déjà de cette voix efféminée qui flirte avec le yodel, « tic » que l’on retrouve parfois chez Russell Mael, le chanteur de Sparks.
ADAM And The ANTS – Digital tenderness
Bardant les morceaux d’un son élastique et proéminent, la basse occupe le centre des ébats. Autour, les atours se veulent originaux, déstructurés. Le « do it yourself » permettant tous les écarts, les lignes mélodiques avalent pentes, descentes et lacets, routes montagneuses susceptibles de doper tout un peloton de cyclistes. Ces particularités aidant, les garçons rêvent de gloire mondialisée. Pourtant, rien qu’en Albion, la concurrence est rude. A chaque coup de Big Ben, dix nouveaux groupes sont éjectés hors des caves où ils vomissent leur « boucan ». Dans ce contexte d’effervescence, le groupe stagnant, Adam va chercher de l’aide du côté de la malfaisance, chez Malcolm McLaren. A son habitude, ce dernier fournit les fripes, le look, mais roule le chanteur en lui volant son groupe au profit de Bow Wow Wow.
Car Trouble
Dépité, Adam, redevenu Stuart Leslie Goddard, se met en quête de nouveaux musiciens. En chemin, il croise Marco Pirroni, son double en composition, fringant guitariste fraîchement sorti des dessous affriolants de Siouxsie Sioux. « Sioux » ? Vous avez dit « Sioux » ? En voilà une idée ! Ces indiens originaires du Minnesota vont léguer la base rythmique de leurs chants ancestraux au nouveau line up du combo.
Des percussions tribales associées à des onomatopées aboyées aux étoiles deviennent le fonds de commerce artistique d’Adam et ses Fourmis. Sur ce postulat, les morceaux de Kings Of The Wild Frontier prennent forment. Pour faire bonne mesure, on rajoute des phrasés ouïs dans des tavernes à soldats les jours de solde, et le tour est joué. Côté look ? Gloss, khôl, peintures de guerre et uniformes de hussards, un salmigondis d’apparat !
ADAM And The ANTS – Dog Eat Dog
Ce qui, de prime abord, peut paraître déconcertant, fait son chemin dans l’écoute attentive d’un public pourtant revenu de tout. L’alchimie prend et le succès enroule son corps enivrant autour des jeunes gens. Les jolis minois d’au minimum trois des cinq membres du groupe n’y étant peut-être pas étranger non plus. Petit à petit, l’aspect pirate, corsaire de la république, prend le dessus sans que la musique en pâtisse, abordage sauvages maintenus au programme. L’oriflamme à tête de mort brandit en symbole, le quintette fourbit des structures de chansons qui leurs sont propres, s’extirpant ainsi du congélateur où les nouveaux romantiques s’empressent d’entasser leurs synthétiseurs.
Jolly Roger
Indéniablement pop, Kings Of The Wild Frontier foisonne de sonorités anciennes réarrangées de telle sorte que tout cela paraisse nouveau : Adam & The Ants, un genre musical à lui tout seul ! Sur la chanson éponyme, les roulements et quadruples croches de tambour résonnent comme ceux d’un orchestre militaire au défilé. La Les Paul de Pirroni lâche des nappes de saturation mises volontairement en retrait par rapport à la basse. Car c’est bien elle qui joue lead une toile d’araignée où se démène un beau diable. De fait, en voyant Adam Ant s’engager corps et âme dans un quadrille « chemise au vent », on peut se demander comment en prenant du lest, il parviendra à mener cette danse. Rien ne sert de durer : « Live fast, die young ».
ADAM And The ANTS – Kings Of The Wild Frontier
Côté texte, les paroles des chansons portent une récurrence. Sorte de mantra que des âmes mal fagotées pourraient être tentées de qualifier « sectaire » : « Ant Music ! ». Ce néon clignotant n’a d’objectif que de rassembler des adeptes autour d’un slogan identitaire. D’insister ainsi en faveur d’un mouvement unique auquel adhérer relève d’une démarche à l’opposé du marketing. Pas d’études de marché préalable, aligner tous les compteurs sur un postulat clairement défini, une sommes de construits originaux. Adam Ant serait donc plus qu’un simple éphèbe, sa troupe en rangs serrés s’agglutinant au concept tel l’anticorps à l’antigène.
Antmusic
Riche de tous ces voyants allumés sur le vert, le groupe envoie un nouvel et imparable single : « Stand and Deliver ». Modèle du genre, le titre colle d’avantage aux tympans qu’une pleine brouette de ciment. Par contre, le reste de l’album Prince Charming (1981) est tellement décousu qu’il va jusqu’à déconcerter la frange la plus assidue des « followers ». Quid de titres tels que « Ant Rap », « Scorpios » ou « That Voodoo » ? Pris séparément, ils font preuve d’un audacieux « culot ». Des motifs mariachis, sambas ou cuivrés sont embringués dans des lacis de percussions, eux-mêmes abrasés d’accords sursaturés vomis d’un Marshall en fusion.
ADAM And The ANTS – Ant Rap
Navigant sur ces eaux troubles comme dans son bain, Adam Ant assène ses vers sans plus se soucier du contexte qu’un poulbot arrosant un réverbère au sortir du bistrot. Roi du monde, il invite le peuple à mirer son terne reflet dans ses yeux allumés. En coulisses, la coke remplit les saladiers qu’un seul « snif » tend à vider. Conséquence : Prince Charming fait aussi vite basculer le groupe dans les fameux bacs à soldes d’où Kings Of The Wild Frontier l’avait extrait. Par excès de confiance, la Ant Messe est dite. Adieu l’utopie, les groupies dénudées sur l’autel du Mont Business. Subsiste des chansons formidables, de quoi remplir un Best Of impeccable.
Stand And Deliver
Elle était belle la mariée, dommage qu’elle se soit pris les pieds dans sa traîne. Mais rien n’empêche de la relire et la réécouter dans son plus bel habit, lorsque les fourmis et leur leader se pensaient « Rois de la Frontière Sauvage ». De fait, ce qu’ils étaient.
Thierry Dauge