Sept ans pour accoucher d’un succès mondial !
De Maurice Chevalier à Louis Armstrong… en passant (euh, en ne passant pas !) par Suzy Delair
Le nom de Suzy Delair est quelque peu oublié aujourd’hui (cliquer ICI pour retrouver l’alerte centenaire). Et c’est peut-être un peu sa faute : elle a en effet rejeté « C’est si bon », l’une des partitions les plus célèbres du siècle, à tel point que cette rengaine « bien de chez nous » est toujours sifflotée par des millions d’Américains foncièrement persuadés qu’il s’agit d’un des plus beaux fleurons de leur jeune folklore.
Pour comprendre la génèse de « C’est si bon », il faut revenir plusieurs années en arrière…
En 1940, Maurice Chevalier entreprend une vaste tournée destinée à redonner le moral aux Français ; malheureusement, il n’a aucune nouvelle chanson à son répertoire. Conscient du talent de son pianiste Henri Betti, qui l’accompagne depuis le début de la Seconde Guerre mondiale, il le pousse à composer. Ce que Betti n’a encore jamais fait ! Pendant des jours, des semaines, Betti se torture l’esprit pour satisfaire son employeur et ami, obsédé par l’incapacité de « pondre une ritournelle ». Et puis, un matin, dans son bain (Euréka !), l’inspiration lui vient. Il avait eu le « déclic »: à l’âge de 51 ans, il se sent enfin capable de composer !
Sur la toute première mélodie de Betti, Chevalier plaque des paroles de circonstance, après la débâcle, sous le titre « Notre espoir ». C’est le début d’une fructueuse collaboration.
Chevalier et Betti créeront plus de quarante chansons. « C’est si bon » (qui, à cet instant, n’a, ni titre, ni paroles) aurait pu être la 41è!
Henri Betti avoue que la musique de « C’est si bon » ne lui a guère pris longtemps pour la composer : en vacances à Nice en juillet 1947, il s’arrête devant un magasin de lingerie féminine… et l’introduction, les neuf premières notes de la chanson lui viennent à l’esprit. Il les inscrit sur la feuille de papier à musique qu’il a en permanence en poche !
Après une partie de cartes avec des amis, il rentre chez lui, se met au piano… et achève le « tube ». De son propre aveu, il ne s’agit que d’une chanson « comme une autre »; à aucun moment, il ne pressent qu’elle fera le tour du monde.
Reste à l’habiller correctement ! Lorsque Betti porte la musique complète à Maurice Chevalier, celui-ci, humblement, réalise qu’il n’est pas un « très grand parolier”; incapable de trouver plus que les quelques mots, c’est si bon, c’est si bon…, il conseille à son partenaire d’aller trouver André Hornez.
Hornez se montre d’abord réticent ; la chanson manque de ne pas voir le jour pour la simple raison que Charles Trénet a déjà écrit un texte similaire, C’est bon…C’est bon. Mais Betti eut quand même raison des scrupules d’Hornez !
La chanson achevée, reste à lui trouver un, ou une, interprète… Betti aurait pu, bien sûr, retourner la proposer à Maurice Chevalier. Mais Hornez a une autre idée en tête: au milieu des années ’40, Henri-Georges Clouzot, pour les besoins de son film Quai des Orfèvres, l’avait prié de tailler un texte « sur mesures » pour sa pétillante héroïne ; sur une musique de Francis Lopez (le roi de l’opérette), les paroles d’ André Hornez avaient fait mouche et Suzy Delair était devenue vedette du jour au lendemain grâce à un titre-scie, « Avec son tra-la-la ». Mais on ne construit pas un tour de chant avec une seule chanson !
Sachant que Suzy, à la recherche de morceaux dans son registre, court les éditeurs musicaux, Hornez lui fait parvenir la partition de « C’est si bon » ; elle est séduite par les paroles de l’auteur qui lui a déjà porté chance.
Pourtant, lors des répétitions au Casino de Monte-Carlo, Suzy Delair interprète la chanson sans entrain, de manière presque figée. Son chef d’orchestre (qui n’est autre que l’époux de Lucienne Delyle, le prestigieux Aimé Barelli, excusez du peu !) le lui fait remarquer.
Suzy Delair est connue pour son caractère vif, impulsif.
Qu’un chef d’orchestre se permettre de lui expliquer comment chanter, c’est plus qu’elle ne peut supporter ! Elle se fâche et claque la porte. Elle vient de laisser passer la chance de sa vie.
Quelqu’un, dans la salle de répétition, n’a rien perdu de la scène, et s’empare de la partition pour en délivrer une version swing : c’est Louis Armstrong (enfant du siècle par excellence, puisqu’il est né en 1900).
Le succès, est-il besoin de le rappeler, sera colossal pour Yves Montand, en 1948
Puis, au fil des ans, les reprises se succèdent. Parmi les plus intéressantes, citons celle d’Eartha Kitt en 1953… Celle d’Eddy Mitchell dix ans plus tard. Entre les deux, celle de Paul Anka en 1959, de Conway Twitty en 1961, et celle de Dean Martin l’année suivante.
https://www.youtube.com/watch?v=gcb7HPLTRns
https://www.youtube.com/watch?v=y85se-KEHRA