Les derniers jours de Robert Johnson – Frantz Duchazeau

0
60
POP CULTURE RADIO La Culture POP a enfin trouvé sa RADIO !
Genres : radio
La culture se partage !

Les derniers jours de Robert Johnson – Frantz Duchazeau

Les derniers jours de Robert Johnson

16 août 1938

Jour funeste pour le Blues. Jour funeste pour la musique. Car cette sale journée voit le trépas de Robert Johnson à seulement 27 balais. Robert Johnson. Peut-être LE bluesman. Celui qui catapulta les bons vieux accords du Mississippi vers la modernité et le Rock’n Roll. Les Stones, Clapton et autres Led Zep, à moins d’une mauvaise foi inoxydable, ne diront pas le contraire.

Son House…

… un de ses mentors, l’avait pourtant mis en garde. « Ne bois jamais dans une bouteille déjà décapsulée mec ». Mais le jeune Robert est doté d’une tête de pioche à fort blindage et c’est bien ce qu’il fait ce soir là, de porter ses lèvres au goulot de cette boutanche débouchée que lui tend la jeune femme sexy qu’il a séduite, comme tant d’autres, peu de temps avant. Poison ? Vengeance du mari cocu ? On ne saura vraiment jamais. Le mythe et la légende se sont emparés de l’affaire. C’est comme cette histoire de carrefour à la nuit tombée et de pacte avec Satan en échange de la gloire avec pour seul bémol, mais de taille, une vie brève. Faust revisité dans les plaines du Delta. Le mystère perdurera même après sa mort puisque on ne sait toujours pas aujourd’hui où il est enterré.

Robert Johnson

2020

Alors qu’il n’existe que deux photos de Johnson certifiées authentiques, une troisième image fait son apparition sur le net. Un dessinateur de BD, tombant sur l’image, sent une idée prendre doucement possession de ses neurones…

Frantz Duchazeau…

… car il s’agit de lui mesdames et messieurs, n’en est pas à sa première tentation d ‘acoquiner le dessin avec la Devil’s Music. Duchazeau et le Blues c’est une love story de longue date. Avec, entre autres en 2017, « Le rêve de Meteor Slim », superbe biographie d’un bluesman imaginaire prêt à prendre tous les risques pour vivre de sa passion. Un Meteor Slim qui présentait déjà comme un cousinage certain avec notre légende de la six-cordes existentielle.

Le rêve de Meteor Slim

Le dessinateur dégaine donc…

… crayons, plumes et pinceaux et se jette dans un travail acharné durant trois années. Postulat de départ : laisser tomber tout le folklore diabolico-mythique déjà rabâché mille fois. Si Robert Johnson semble avoir été voué à la malédiction, c’est essentiellement le fait d’ une scoumoune qui lui collera aux basques toute sa courte existence. Frantz Duchazeau, au moyen de quelques flashbacks, évoque cette poisse trop zélée, mais c’est surtout sur les derniers jours du musicien qu’il va s’attacher.

Robert Johnson

Alors effectivement…

… dans la catégorie « Splendeur et Réussite » c’est pas tout à fait ça…Ca commence par un père qu’il ne connaîtra jamais. Sa mère, exténuée par son labeur dans les champs de coton, fait ce qu’elle peut. Ca empire avec un beau-père qui, prenant le jeune Robert en grippe, a la main de plus en plus leste. Le jeune garçon grandit vaille que vaille dans ce sombre univers et se réfugie dans la musique en s’essayant à l’harmonica. Et puis un jour, éclaircie, c’est le grand amour. L’élue ne tarde pas à attendre un heureux événement, selon la formule consacrée. Robert est fou de joie à l’idée de pouvoir fonder une famille, une vraie, de celle où on n’en prend pas plein la gueule pour la moindre broutille. Pour sublimer la noirceur du tableau, la mère et l’enfant ne survivront pas à l’accouchement.

 Robert Johnson

Robert Johnson touche le fond…

… Commence alors une vie d’errance. Au petit bonheur la malchance. Les débuts sont difficiles. Son House, musicien reconnu et un brin branleur, l’éconduit cruellement en lui conseillant de laisser tomber la guitare et de continuer à faire mumuse avec son harmo. Fierté blessée. Alors Robert s’accroche, s’imprégnant des conseils et leçons d’un certain Ike Zimmerman. En un peu plus d’un an l’élève dépasse le maître et revient tenir la dragée haute à celui qui, bien obligé de reconnaître les progrès foudroyants du jeune homme, rengaine sa morgue. Suite logique, la réputation de Johnson grandit. Il débarque un beau jour à New York où il grave l’essentiel de ses titres.

Robert Johnson

Frantz Duchazeau nous relate…

… tous ces évènements par petites touches, en une série de flashbacks qui sont autant de pauses dans la narration. Pauses qui bâtissent peu à peu le désarroi que la pudeur du bluesman est souvent bien en mal de dissimuler.. Mais le temps de l’action se situe bien dans la dernière ligne pas très droite d’une vie précipitée dans le mur.

Robert Johnson

Et c’est tout le talent de Duchazeau…

… de nous faire partager ces derniers instants. Ultimes tribulations dans un sud dangereux, surtout quand on a la peau foncée et un goût prononcé pour la vie nomade. Même ses frères de couleur se méfient de lui, de ce type bizarre, à la distance un peu aristocrate. Au fil des pages on ressent parfaitement le parcours d’un homme inconsolable, qui va droit devant lui, sans but et qui d’ailleurs s’en fout. Le lendemain ? On verra bien. Un juke joint un soir. Et puis un autre un autre soir. Conquêtes superficielles. Mauvais alcools. Lascars qui lui cherchent des poux dans la tête parce qu’ils n’aiment pas ce mec qui joue comme un dieu et qui monopolise toute l’attention, surtout féminine.

Juke joint

Pendant ce temps…

… deux émissaires du Carnegie Hall cherchent Robert Johnson. La prestigieuse salle l’a invité pour se produire lors d’une grande soirée aux côtés de Count Basie et Rosetta Tharpe. Ils ignorent qu’ils ont entamé une course contre la montre avec la Faucheuse qui sera la plus rapide cette fois là.

Robert Johnson

Cerise passablement gâtée…

… sur un gâteau tout aussi indigeste. Point final d’une loose absolue magnifiquement mise en scène par Frantz Duchazeau dont le dessin restitue à merveille l’ambiance du Deep South. Routes sans fin, façades de bois des petites villes toutes semblables les unes aux autres, tacots bringuebalants. À la lecture on ne serait pas étonné d’avoir les yeux irrités par la poussière des chemins défoncés. Travail classique à la plume. Noir et blanc savamment équilibré , rehaussé de superbes matières de gris, où le papier resté vierge suggère les grands espaces. Duchazeau creuse de façon impressionnante dans le détail sans pour autant perdre de spontanéité. Les poses expressionnistes du bluesman sur sa guitare, accompagnées par un graphisme original évoquant ses sonorités, sont un vrai régal.

Robert Johnson

Une somptueuse balade graphique, intemporelle, à la hauteur d’un Charley Patton conté par Robert Crumb.
À déguster lentement en écoutant Terraplane Blues

And I feel so lonesome, you hear me when I moan
And I feel so lonesome, you hear me when I moan
Who been drivin’ my Terraplane for you since I been gone?

Terraplane Blues – Robert Johnson

La Biblio ? C’est par ici

Did you enjoy this article?
Inscrivez-vous afin de recevoir par email nos nouveaux articles ainsi qu'un contenu Premium.
Article précédentLUNA : les trente ans de l’album PENTHOUSE
POUP
Laurent Poupinais, alias Poup. Diverses aventures dans le monde du fanzine (Nestor Mag, La Chronique Du Vermifuge), dans le Rock Punk/Garage (Les Ambulances, Mystery Machine, Traffic Drone) en tant que batteur. Dessinateur addict au noir et blanc qui réalise des illustrations pour des fanzines (Rock Hardi , Cafzic) mais aussi des visuels pour des groupes (pochette de disque, T-shirt, affiche, flyers et toutes ces sortes de choses).

Laisser un commentaire