Alain SOUCHON – L’adolescence en héritage
Collection I
Sur le livret du disque Collection bleue (2001), le Volume I de ce qui apparaît d’avantage comme une rétrospective qu’une compilation, Alain Souchon a rédigé ces quelques mots :
«J’ai fait des chansons par ennui depuis mon enfance. Elles étaient simples et sans originalité, c’était pour passer le temps car le reste, les études, le sport, la politique ne m’intéressaient pas. Il n’y avait guère que les jeunes filles et la nature qui m’attiraient. Puis j’ai rencontré Laurent Voulzy et j’ai travaillé, et petit à petit mon goût s’est un peu affiné. Bien des gens ont aimé mes chansons et je me suis senti comme sorti de l’auberge, comme heureux. Voilà mon histoire».
Spectateur désabusé de son quotidien, Alain Souchon fait preuve de retenu, exprimant avec un certain aplomb qu’il n’est, en fait, certain de rien, subissant semble-t-il les vicissitudes du quotidien. « … Pour passer le temps … », « … mon goût s’est un peu affiné … », « … comme sorti de l’auberge, comme heureux », tout cela relève du ressenti, aucune affirmation. Modestie ? Être sur Terre doit bien correspondre aux projets de quelque chose ou de quelqu’un ?
Alain SOUCHON – Bidon
« … les jeunes filles … », ou l’adolescence en héritage, inépuisables sujet de dissertation. Les chansons de Collection I sont éloquentes quant à la capacité de leur auteur à centrer la cible. Clichés sépia, rose fané, nostalgie, amour romantique, tout ce qui fait mouche dans le cœur d’adultes à la recherche d’un temps où rien n’a d’importance que la couleur des yeux de l’autre. Les plus connues : « Allo maman bobo », « J’ai dix ans », « Bidon », « Jamais content », « On avance », « Y’a d’la rumba dans l’air », « Somerset Maugham », « On s’aime pas », « La p’tite Bill elle est malade », « S’assoir par terre », « Rame ».
Somerset Maugham
Onze titres sur les dix-huit que contient cet enregistrement ont été des top singles, des numéros un. Énorme ! Ce qu’on appelle un chanteur « populaire ». D’ailleurs, il suffit des trois premières notes de chacun de ces titres pour y plonger, paroles connues sans jamais l’avoir sciemment voulu. Sujet d’étonnement, sa collaboration, son indéfectible amitié avec Laurent Voulzy. L’un compose, l’autre écrit. Pour l’un, pour l’autre et, quelques fois, pour autrui. Mais ils ne sont jamais aussi forts que lorsqu’ils œuvrent pour eux.
Alain SOUCHON – Y’a d’la rumba dans l’air
https://www.youtube.com/watch?v=aEYfCP5-MY8
Laurent VOULZY – Le rêve du pêcheur
Souchon fait partie du patrimoine national. Au-delà de la sacro-sainte chanson gauloise, il siège tel l’un des rares représentants du Folk français, celui dont tout le monde voudrait se réclamer pour échapper à l’AOC « Variété ». Ils sont quelques-uns à redéfinir ainsi le cadre du kiosque où l’on voudrait les entendre jouer : Renaud, Bernard Lavilliers, Hubert-Félix Thiéfaine, Jacques Higelin, Maxime Le Forestier. Cas particulier passé du rock à « autre chose », Jean-Louis Aubert, partitions murissant, semble imperceptiblement se rapprocher d’Alain ; intéressant …
Si Collection Bleue porte en elle le folk d’un chanteur quasiment pop, Collection Rouge (2001), le Volume II, devient urbain.
Collection II
« Comme elle est partie, Jim a les nerfs, Jimmy boit du gin dans sa Chrysler … », Souchon vieillit mais ne rompt pas. Il conserve cette verve littéraire si particulière, ce talent à faire rimer des mots simples sans que ça le soit. Dix-sept titres pour celui-ci et dix cartons en radio, la radiographie d’un poète du quotidien : « Ballade de Jim », « C’est comme vous voulez », « J’veux du cuir », « Quand je serai KO », « Foule sentimental », « L’amour à la machine », « Sous les jupes des filles », « C’est déjà ça », « Rive gauche », « Le baiser ». Par contre, comme annoncé, la musique change de décennie, adopte des accents plus récents, des sons et rythmes plus … « dansants ».
Sous les jupes des filles
Mais les sujets restent, récurrents : des filles, des amours déçus, d’autres en devenir. Nonobstant, par place apparaissent des thèmes un rien nouveaux. Entre deux baisers volés, l’immigration et le cuir, à dose homéopathique, récurrence de ce que « Poulailler’s song » picorait déjà : des tracas. Asséner une droite puis une gauche, on ne l’en croyait pas capable et c’est pourtant ce qu’il se permet au risque d’émouvoir son auditoire. Un tournant ? Disons un virage, peut-être, rien qu’une courbe au bout du clavier, de celle qui mène aux combles féminins. « … des gros seins, des gros culs … » ne feront pas de vague, d’autres préoccupations plus vitales prendront bientôt la place.
Alain SOUCHON – Le baiser
Le dernier Lp du chanteur date d’octobre 2019. Dix-huit années se sont écoulées entre Collection I et II et ce dernier. Dix-huit années, le nombre de chansons comprises sur le Tome I. Présage ? Qui sait … En tout état de cause, ces quatre fines galettes de vinyle noir n’ont pas fini de valser sur les plateaux des platines. Toutes celles et ceux qui, au-delà des « genres » musicaux, aiment se laisser porter par les notes et les mots, porte dans leurs regards ce plaisir enfantin. Après tout : « J’ai dix ans ».
J’ai dix ans
Au fait, un album bleu, un album rouge … une influence …
Thierry Dauge